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Bande originale d’un retour au pays

Ça fait sept semaines que je suis de retour à l’île Maurice (et trois mois que je n’avais rien écrit ici). Égaré entre la tristesse d’avoir quitté un pays que j’adore et le plaisir de retrouver mon île natale, il n’y a pas mieux qu’une compilation pour décrire ce mélange de sentiments.

L’appréhension

Il paraît que Salman Rushdie a dit (ou écrit) « un homme n’a pas de racines, il a des pieds ». Comme je n’ai lu aucun de ses livres, je ne sais pas d’où ça sort et si cette phrase est vraiment de lui. En tout cas, j’aime bien l’idée. Je suis parti de l’île Maurice le 2 septembre 2004 pour aller faire mes études universitaires à Avignon. Depuis, je suis passé par Madagascar, La Réunion, le Népal et je n’ai fait que de courts séjours dans mon pays. Quand on est parti si longtemps, on peut perdre ses repères. Même si l’on fait beaucoup d’efforts pour essayer de rester connecté. On peut être régulièrement renvoyé à cet état : être en décalage, ne plus comprendre. Ça fait donc onze ans que j’ai des pieds. Mais lorsque j’ai besoin de me raccrocher aux branches, je finis toujours par me laisser guider vers mes racines.

La nostalgie

Au Népal, il m’arrivait de sentir que j’étais à l’île Maurice. Quand je dis « sentir », ça n’avait rien à voir avec l’odorat. Ni même la vue, l’ouïe, le toucher ou le goût. Ça peut paraître bizarre, mais c’était de l’ordre du sixième sens. Ça me prenait d’un coup, sans raison, sans prévenir. Je me sentais à l’île Maurice. C’est intéressant car l’inverse se produit aujourd’hui que je suis à l’île Maurice. Énormément de situations me ramènent au Népal. Ou alors c’est parce que le pays me manque tellement ? Après m’être toujours senti à ma place au Népal, j’ai souvent l’impression d’être au Népal depuis que je suis à l’île Maurice (en admettant que ce soit « ma place » ici). Il n’y a pas mieux que la musique de Piers Faccini (et ce violoncelle enchanteur) pour illustrer cet nostalgie agréable.

L’optimisme

Lorsqu’on se préparait à partir du Népal, j’ai rencontré deux types de réaction. Beaucoup m’ont dit, « vous êtes fous de retourner en France ! ». Quelques-uns des Mauriciens qui savaient qu’on rentrait à l’île Maurice m’ont dressé une liste exhaustive des bonnes raisons pour ne pas rentrer au pays. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils étaient convaincants. Pourtant, je n’ai jamais vraiment douté de mon choix. À chaque fois, je me suis dit que j’avais le droit de rêver. Et après sept semaines à l’île Maurice, je peux dire, comme Hubert, que « jusqu’ici tout va bien ».

La fierté

En 2009, j’ai eu le privilège de parler à Eric Triton de la musique et de l’île Maurice. Parlant de ses pairs, l’Alain Delon du blues mauricien (il parle de lui à la troisième personne), m’avait dit : « Menwar, c’est pas terrible, il ne fait que dire ‘ay ay lo lo’ et c’est tout ». J’ai dit qu’il y avait plus que « ay ay lo lo » dans les paroles du créateur du sagaï, mais j’étais bien trop intimidé pour en discuter davantage. Pour moi, Menwar incarne parfaitement la richesse de notre culture. Parce que j’ai eu l’occasion de l’interviewer et de le voir plusieurs fois en concert, j’ai constaté que c’était un vrai artiste qui a énormément de respect pour son public. Il y a une semaine j’ai revu Menwar en concert la petite scène Dan Vilaz du festival Kaz Out. Le temps de trois chansons, il nous a comblés, comme toujours. Menwar dit que quand les étrangers arrivent à l’île Maurice et ils ne veulent plus repartir. Ça peut aussi arriver à la diaspora mauricienne.

Plus ça change

Parce qu’une compilation n’est bonne que s’il y a Radiohead. Parce que même si pas mal de choses sont toujours à leurs places à l’île Maurice, j’ai l’impression de ne pas tout saisir, qu’il me faut un peu de temps pour m’adapter. Un peu comme avec les paroles de Thom Yorke sur Kid A – l’album qui marque le renouveau de Radiohead.

Les retrouvailles

Pendant mes études à Avignon, on me demandait souvent si la mer me manquait. J’ai joué le rôle qu’on attendait que je joue : la mer me manquait terriblement, ainsi que le cari poulet et la bière Phoenix. Au Népal, j’ai préféré profiter de ce que ce magnifique pays m’offrait au lieu de me lamenter sur tout ce que je ne pouvais avoir (même en râlant bien fort). Mais trois jours après être rentré à l’île Maurice, je me suis « assis au bord de l’océan en buvant une potion » et j’ai vu le soleil qui plongeait dans cette étendue d’eau salée. Ce n’est que là que j’ai enfin accepté que les couleurs jaune sale et turquoise m’avaient manquées. (J’aurais aussi pu mettre My god is the sun qui est sur le même excellent album).

L’hommage

Parce que la France a aussi été mon « chez moi » pendant six merveilleuses années. J’ai aimé tous les passages furtifs à Paris en découvrant que les Parisiens n’étaient pas si énervants que l’on disait.

L’humilité

Finalement, que je sois au Népal, à Madagascar, en France ou à l’île Maurice, ce n’est pas très important. Ça va pas changer le monde et mes états d’âme ne sont pas très intéressants. C’est juste un bon prétexte pour faire une compilation et pour vous retrouver, mes lecteurs adorés.

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Auteur·e

fanuet

Commentaires

serge
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Holala, quel grand monsieur ce Steph...

:)

Stéphane Huët
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Je ne sais pas pourquoi tu dis ça, mais merci :)

Elise François-Dainville
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merci pour cette playlist qui résonne aussi de manière très particulière en moi!

Stéphane Huët
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Cool ! J'aime quand mes choix musicaux provoquent ça :)

Ophélie
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C'est très poétique. Bravo, un bel article ! Just go on...

Stéphane Huët
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Wow, poétique ? Voilà ce qui m'arrive quand le Népal me manque.

kaptue florian
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bel article, ça se lit d'un trait

Stéphane Huët
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Merci Florian. Reviens quand tu veux.