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Après Dashain vient la tempête

Katmandou se transforme un peu pour être plus calme et rieuse. Peu de gens savent vraiment ce qu’on célèbre, mais tout le monde en profite. C’est Dashain, « le Noël népalais ».

Sur la route, peu de voitures et de rares piétons. Dans l’air, pas de fumée noire et la vision des montagnes enneigées. Tous les commerces et surtout les administrations tournent au ralenti. Ce n’est pas un bandh. C’est Dashain (parfois orthographié « Dasain »).

Pour expliquer aux étrangers ce que représente cette fête dans leur pays, quelques Népalais la comparent à Noël. C’est la plus grande fête du pays où quasiment tout est fermé (même quelques journaux) pendant dix jours. Les Katmandais d’adoption rentrent dans leurs villages et villes d’origine pour fêter Dashain en famille. C’est aussi le moment où les expatriés profitent pour rentrer au pays. Et pour ceux qui n’ont pas pu prendre l’avion, il reste l’application Dashain Tihar Aayo qui propose de se réunir virtuellement.

Quasiment tous les Népalais, quelle que soit leur croyance, célèbrent cette fête hindoue. Beaucoup accueillent ces dix jours de repos bien mérités sans vraiment savoir ce que ça représente. Une amie bouddhiste m’expliquait que pour Dashain, elle fait aussi des offrandes aux divinités hindoues, un peu par automatisme : « Ma maman fait les puja à sa façon, je le fais à ma façon. Ça n’a pas d’importance ».

Ça n’a pas d’importance sauf quand on veut comprendre ce qu’est vraiment Dashain. J’ai posé la question à environ cinq personnes qui m’ont donné chacune leur version. Mais j’ai compris les grandes lignes : Dashain représente la victoire du bien sur le mal. C’est la victoire de la déesse Durga sur Mahishasura après dix jours de combat – « Dashain » signifiant « dix jours ».

Statue représentant Durga en train de mettre la misère à Mahishasura exposée lors d'une cérémonie à l'école  © S.H
Statue représentant Durga en train de mettre la misère à Mahishasura exposée lors du Shree Durga Puja à la Galaxy Public School © S.H

La fête commence à Shukla paksha (en sanskrit « shukla » signifie « blanc ») qui est la quinzaine lumineuse de la lune dans le calendrier hindou. Ceux qui la célèbrent réellement plantent des graines de jamara (l’orge) ce premier jour. Les pousses doivent germer dans l’obscurité. Elles devront être humides et avoir une apparence vert-jaunâtre lorsqu’on les coupera au dixième jour de Dashain. C’est le jour où l’on peut voir beaucoup d’hindous se promener en ville avec un tika rouge au front et quelques branches de jamara, fraîchement coupées, suspendues à leur oreille – une demande de bénédiction à Durga pour la prospérité. Les festivités de Dashain se terminent à purnima, la pleine lune.

Ce n’est ni l’anniversaire d’un garçon né dans de la paille, ni l’attente maladive d’un gros barbu qui va descendre par la cheminée, mais Dashain me rappelle beaucoup Noël, effectivement.

Deux semaines avant le début des festivités, tout commence à tourner au ralenti. On entre dans une phase de léthargie précoce et à chaque petit ennui administratif ou professionnel, le prétexte « c’est bientôt Dashain » est imparable. La plupart des grands magasins affichent les « Special Dashain SALES » qui seront maintenues jusqu’à Tihar. Les taxis réclameront un « bonus Dashain ». Dans les petits commerces où je suis habitué, je me permets de demander en souriant un « Dashain discount ». Il a toujours été accepté avec un grand sourire.

Dashain transforme un peu Katmandou qui devient un endroit plus agréable pour les piétons. Dans cette ambiance relativement calme, on entend la gaieté des habitants qui sont restés dans la capitale. Sur chaque place, il y a des rassemblements d’enfants et d’adultes avec une énorme bobine de ficelle dans les mains. Au-dessus de leurs têtes, des dizaines de cerfs-volants fabriqués avec des emballages plastiques récupérés tourbillonnent loin dans le ciel. D’autres montent sur leur toit pour lancer leurs jouets. Le but est de « couper » le cerf-volant d’un autre. Pour y arriver, le bout de ficelle juste en dessous du cerf-volant est enduit de verre pilé. Quand un cerf-volant est à terre, le vainqueur exulte, parfois sans savoir à qui appartient le cerf-volant qu’il vient de couper. Le vaincu court en riant à la boutique du coin pour en racheter un autre aérodyne à Rs 10.

Petits et grands font voler leur cerf-volant à Basantapur, Katmandou © S.H
Petits et grands font voler leur cerf-volant à Basantapur, Katmandou © S.H

J’ai tenté de faire voler un de ces cerfs-volants et j’ai galéré. Tellement que Bishal, mon voisin de 12 ans, est venu me donner quelques leçons. Après avoir lui aussi eu du mal à faire voler cet engin qui piquait trop à gauche, il me l’a rendu en disant « achète-toi un meilleur cerf-volant et je reviendrai demain ». De quoi me faire regagner un peu d’amour-propre.

Dashain, c’est aussi le moment où les balançoires en bambou apparaissent dans les coins de rue. Là aussi, on voit des enfants et des adultes qui sont là pour « montrer comment faire ». Mais une fois qu’ils ont atteint l’euphorie des oscillations, ils ont du mal à laisser leurs places aux plus jeunes.

Jhamsikhel, Lalitpur - Une balançoire éphémère installée pendant Dashain © S.H
Jhamsikhel, Lalitpur – Une balançoire éphémère installée pendant Dashain © S.H

La fin officielle de Dashain était le mardi 7, selon le calendrier Brikam Sambat. Tout le monde est retourné au travail en traînant les savates, avec une espèce de gueule de bois. On dirait les crises de foi d’après-Noël. Mais Katmandou a vraiment repris son activité chaotique ce lundi 13 octobre.

Avec un temps pareil, même les drapeaux de prière tibétains font la gueule © S.H
Avec un temps pareil, même les drapeaux de prière tibétains font la gueule © S.H

Les fumées noires sont de retour, les klaxons me défoncent les tympans. Et comme si que ça ne suffit pas pour nous rendre nostalgiques du Katmandou calme, depuis hier après-midi la capitale est sous le déluge et est frappée par de gros orages – les conséquences de Hudhud, le cyclone qui a tristement ravagé l’Andhra Pradesh en Inde.

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Auteur·e

fanuet

Commentaires

Léa Hussenot
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Super article !
J'imagine tellement le "Dashain discount please sir" avec un dodelinement de tête !
J'ai hâte de lire le prochain !

Stéphane Huët
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Je me suis un peu rare ces derniers temps. Mais je reprends le rythme... Hâte de lire tes commentaires ! ;)

Serge
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Balançoire éphémère, tu dis? ;)
ça a l'air intéressant tout ça... quel pays !