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Comment être innovant à Maurice ?

La première Journée mondiale de la créativité et de l’innovation (#WCID) était célébrée le samedi 21 avril 2018. Deux jours plus tôt, j’étais invité au premier Innovators Meetup de Maurice, organisé par Red Dot (aucun rapport avec la journée mondiale). En arrivant à cette rencontre, je me suis demandé, « mais c’est quoi être innovant ? »

Le mot pullule depuis longtemps. « Innovation. » Souvent évoqué dans les médias, il était toujours associé à la technologie. Forcément, quand je l’entendais, j’imaginais des matrices complexes, des robots autonomes et des lignes de codes interminables. Petit à petit, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas (uniquement) d’utilisation des outils numériques. La définition du dictionnaire Larousse pour « innover » est « Introduire quelque chose de nouveau pour remplacer quelque chose d’ancien dans un domaine quelconque ». L’exemple est évocateur : « Innover en art. » Être innovant, c’est être créatif.

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Pourtant, je me suis fait avoir récemment. Quand une amie m’a parlé de son entreprise, Red Dot, qui contribue à la promotion d’une culture d’innovation au sein des entreprises mauriciennes, là encore, j’ai pensé à de grands projets technologiques, des outils numériques pour systématiser les procédures au bureau. Mais Natacha (l’amie, donc) m’a expliqué qu’avec ses deux partenaires, Min et Amal, ils veulent « placer l’humain au centre de l’innovation ». OK, ça a l’air très gentil, mais complètement abstrait. Donc, il n’y a pas de robot ?

Aussi passionnée que passionnante, Natacha a lancé sa petite entreprise pour encourager un « changement positif » à Maurice. Ma plus grande contradiction est de croire en ce genre d’initiatives tout en me disant que le monde est foutu. Alors quand nous en avons parlé, j’étais très enthousiaste. Mais quand je suis retourné à mon quotidien, que j’ai parcouru la presse, je me suis dit : « À quoi bon ? Tout part en couille. »

Il y a quelques semaines, Natacha m’a proposé d’assister au premier Innovators Meetup organisé par Red Dot. Son invitation précisait que ce rendez-vous, dans le format d’une non-conférence, devait réunir un réseau d’innovateurs et des initiateurs de changement (« changemakers« ). J’ai été touché par l’invitation, mais je me suis demandé quelle serait ma valeur dans ce type de rencontre. J’ai accepté. Même si j’étais à deux doigts de décommander le jour J. En grand curieux, je me suis dit qu’il fallait bien voir au moins une fois.

Le jeudi 19 avril, au centre de formation TALENTS à Pierrefonds, le public du Innovators Meetup est très varié : différents âges, différentes ethnies, des expats, autant d’hommes que de femmes. Je reconnais une professeure d’université et des entrepreneurs à succès. C’est Min, la collègue de Natacha, qui ouvre le bal en expliquant le déroulement de la soirée. Assis en rang dans une salle, on se présente en précisant de quoi on « deeply care about » (les échanges se font en anglais). N’ayant rien de très profond à partager, je me sens assez pathétique de « deeply care about Radiohead ». Mais ce n’est pas grave. Une des rares règles ici est « Don’t judge ». Ouf !

Dans une non-conférence, il n’y a ni thème préétabli, ni expert qui déblatère devant un public dissipé. Chacun peut proposer une thématique qui sera discutée si au moins deux autres personnes votent pour elle. Des groupes se forment ensuite pour aborder ces thématiques.

Au Innovators Meetup de ce 19 avril, il y a 10 thématiques : cinq pour une première session de 45 minutes et cinq pour une autre session de la même durée. Parmi les cinq premiers sujets, j’hésite entre “What can Mauritius be the BEST at?” et “How to reduce road accidents?”. J’ai beau être cynique, je n’aime pas la négativité. Depuis presque trois ans que je suis à Maurice, j’y vois tous les jours trop de personnes intelligentes et talentueuses pour rester bloqué sur la rengaine « mon pays va mal ». Va pour essayer de trouver dans quoi Maurice excelle.

Grafitti à Tamarin, île Maurice © S.H

Nous sommes sept autour de la table. Le premier point avancé est le progrès technologique. Mais très vite, on parle de ce qui est réellement la force ce pays : l’humain et la diversité (comme ce soir). De là, découle une autre idée. Comme Maurice est un petit pays, c’est un territoire idéal pour le prototypage de toute sorte de produits ou pour être un laboratoire de nouveaux concepts, à l’instar de l’Estonie. Bien vite, nous arrivons à deux observations évidentes. 1/ Chaque contrainte (comme la petitesse du pays) crée une opportunité. Il nous suffit d’être positivement innovants pour voir notre potentiel. 2/ Les gens, notre diversité, tout ça est bien beau, mais tellement fragile.

Mais ce n’est pas tout d’avoir des idées. Ce soir il faut prendre des engagements. Tous les sept, nous nous engageons à 1/ mettre en avant les aspects positifs de Maurice ; 2/ comprendre ce qui constitue le concept de « lakorite » à Maurice pour le transmettre ; 3/ capitaliser sur nos différentes origines ; 4/ voir les opportunités dans chaque problème ; 5/ organiser des événements qui favorisent des rencontres qui n’auraient autrement pas eu lieu.

Dans la seconde discussion à laquelle je participe, on se demande “How to combat fake news?” Tout un programme. La conversation est intéressante et va au-delà de notre sujet principal, mais on en sort sans réelle idée, si ce n’est qu’il faudrait encourager les débats et dynamiter le système éducatif mauricien.

« J’fais quoi maintenant ? »

J’ai horreur des « inspirational » machin-chose comme les TED Talks. Mais ce soir, même s’il y a quelque chose de très naïf dans les idées et engagements de la première discussion, je me laisse prendre au jeu. Parce que les personnes autour de moi sont aussi cool qu’intelligentes. Parce que je me sens à l’aise. Parce que dans ma situation et avec mon parcours, ce serait stupide de ne pas positiver. Et parce qu’au lieu de se lamenter en énumérant les aberrations des politiciens mauriciens, il faut profiter de ces moments où l’on plante une minuscule graine pour participer à quelque chose de plus grand.

Comme pour les idées, il ne suffit pas d’énoncer des engagements. Il faut les tenir. Et la méthode est trouvée : nous resterons en contact et à chaque fois que l’un de nous met en œuvre un engagement, il le fera savoir aux autres. De quoi se motiver mutuellement. Depuis, un wiki a été créé avec tous les participants de cette première rencontre avec les comptes-rendus des discussions. Et rendez-vous est pris pour la seconde édition.

D’habitude, je fuis les doux rêves de Bisounours. Mais on dirait que l’Innovators Meetup tue mon insolence. Être innovant, ne serait-ce pas aussi accepter de changer ses habitudes ?

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fanuet

Commentaires

Elorac
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Wouais, bof. Bon okay, il y a toute cette mode, toute cette rhétorique de « changement positif », etc. Mais tout cela me laisse perplexe… de quoi on « deeply care about », capitaliser sur nos différentes origines… C’était quoi 'origines' ou 'nationalités' ? Parce que si 50 ans après l’indé des Mauriciens sont encore à se demander comment capitaliser sur «nos différentes origines», on est mal barré ! Je ne sais pas, tout cela me semble rester trop superficiel, comme un brassage "positif" de vent… :-)

Stéphane Huët
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Comme toi, j’ai toujours dédaigné cette “rhétorique” et dénigré les bons sentiments, je déteste les modes, je me méfie de tout ce qui prend l’allure de confrérie et je pense que nous sommes mal barrés quoiqu’il arrive - et pas qu’à Maurice. Nous agitons notre diversité quand ça nous arrange, mais nous prenons ça pour acquis sans en mesurer son réel potentiel. Les 50 ans de l’indépendance ne constituent pas un cap ou un anniversaire magique qui va tout résoudre. Dans 100 ans, on se posera les mêmes questions parce que personne - à part quelques-uns - ne veut s’embêter à y répondre, préférant brandir des évidences creuses. Bien sûr, ça restera superficiel tant que nous continuerons de prendre tout ça de haut.

Natacha Emilien
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Hello les jeunes, pour que cela ne soit pas que du “brassage de vent”, nous sommes passés à l'action ! Le premier FuckUp Night (mouvement global que nous rapportons aujourd’hui à Maurice et qui permet de démontrer que les échecs professionnels ne sont pas une fin en soi, que nous pouvons en parler et célébrer ensemble l’échec au lieu de nous murer dans nos tours d’ivoire d’égo et de paraître) est une résultante du dernier Innovators Meetup, et c'est une action concrète qui nous permettra d'aider à changer les mentalités à Maurice ! Cela va-t-il faire une différence, me direz-vous ? Honnêtement, je ne peux l’affirmer, mais je l’espère. Et je pense aussi que si tout le monde baisse les bras, alors vraiment, vraiment, le pays est fichu ! Alors même si cela semble du brassage de vent positif, je pense qu’il vaut mieux en faire que... ne rien faire du tout?! :) #innovationletsgo

Stéphane Huët
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Sa weeeeee !