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Ivato : aéropause

587 040 km² et rien à jeter. Madagascar se contemple de long (1 570 km) en large (575 km). Il faut voyager pour découvrir tous les recoins de ce pays bouleversant. Pour cela, il y a le mythique taxi-brousse. Et il y a l’avion qui peut être aussi folklorique qu’un trajet sur terre. Plus que le voyage même, c’est l’attente allongée par les retards (récurrents) de la compagnie aérienne nationale qui est une vraie expérience.

Aéroport d'Ivato, Antananarivo, Madagascar
Aéroport d’Ivato (auteur : Jialiang Gao)

Fin de vacances. C’est toujours morose de se préparer à rentrer à la maison. Pendant 13 jours, j’ai découvert des sourires, des couleurs, des ambiances et des paysages très différents de Nosy Be où j’habite. Je suis encore émerveillé et je ne suis pas pressé de reprendre le travail. Apparemment, Air Madagascar est avec moi : 2 jours avant le départ prévu, j’avais reçu un SMS pour me prévenir que l’avion aurait 3 heures de retard.

Quand j’arrive à Ivato, l’aéroport de Tana, je comprends que plusieurs voyageurs – ceux qui ont le visage marqué par la fatigue et l’énervement – n’ont pas reçu le SMS. J’enregistre mes bagages. Embarquement prévu à 18h20. J’achète une édition du Nouvel Observateur vieille de 2 semaines pour passer le temps. À Ivato, des marchands vendent des magazines portant la mention « Interdit à la vente » qu’ils ont récupérés des avions des vols internationaux.

18h15. Une voix féminine jaillit des haut-parleurs. Je n’ai rien compris, mais je me précipite vers la salle d’embarquement. Raté. C’est l’embarquement des passagers pour Majunga. Ou Tamatave. Je ne sais plus. Les passagers pour Nosy Be se rasseyent en poussant de longs soupirs. 2 adolescents, casquettes mal enfoncées, jeans trop larges, s’approchent du comptoir. L’allure gangsta, mais le ton poli – je reconnais leur accent réunionnais – ils demandent les raisons du retard et l’heure du départ. La réponse est évasive et n’excuse, ni n’explique le retard.

Dans la salle, les enfants ne tiennent plus en place, leurs parents essaient de les retenir, un sosie de Paul Kagamé a l’air vraiment énervé et on reconnaît les fumeurs qui musclent leurs mâchoires dans du chewing-gum. « Tou vé un tchiowing gôm », me propose une Italienne. Non merci, je ne fume pas.

Des Anglais devant moi ouvrent des canettes de THB. Je pense alors à une bière pour passer le temps. Mais je n’en ai pas vraiment besoin ; pas comme celles qu’on ouvre après une dure journée de travail. Je jette un coup d’œil au bar au fond de la salle d’attente. Les jeunes Réunionnais déguisés en gangstas tiennent leurs bouteilles de Coca-Cola comme Kanye West tenait sa Hennessy au MTV Awards 2009. Ce qui me dissuade totalement de me déplacer pour cette bière.

Kanye West, MTV Awards 2009
Kanye West et son cognac Hennessy au MTV Awards 2009

Je replonge la tête dans mon magazine. 2 heures plus tard, l’avion n’est toujours pas arrivé. Les enfants courent dans tous les sens. Leurs parents n’en peuvent plus. Résignés, ils observent leurs progénitures et s’échangent un regard de compassion.Le sosie de Paul Kagamé ouvre les yeux en grand et j’ai l’impression qu’il s’apprête à pousser un cri de guerre. Il me fait peur. Dans les toilettes, des messieurs costauds à l’accent slave s’autorisent une petite cigarette en fredonnant Sweet Home Alabama. Je me demande s’ils ont un sens de l’humour très développé ou s’ils sont inconscients (certains membres de Lynyrd Skynyrd ont été tués dans un accident d’avion le 20 octobre 1977). Ambiance bizarre.

L’avion arrive enfin à 20h50. La salle d’attente applaudit. Alors que je pense que le plus dur est fait, c’est maintenant que la tension monte.

Sur le tarmac, un homme s’énerve sur son épouse parce qu’elle n’avait pas anticipé son bond du siège dès la première syllabe de l’appel de l’hôtesse. En haut de la passerelle, je suis bloqué à l’entrée de l’avion car la file n’avance plus. Je patiente mais derrière, l’Italienne en manque de nicotine me bouscule. Enfin dans l’appareil, le premier steward regarde ma carte d’embarquement et me dit « 5E » sans indiquer une direction précise. Merci, je sais lire.

J’aurai pour voisins les 2 Réunionnais gangstas. Une dame arrive vers eux en montrant son numéro de siège. L’un d’eux est à sa place. Le plus grand réagit : « Hey, madame, tu peux pas aller derrière s’il te plaît ? » Le ton est sincèrement poli, mais la fatigue de l’attente lui fait oublier de mettre les formes. Elle ne peut pas. Elle doit être à sa place pour s’asseoir derrière sa maman qui est trop vieille pour voyager seule. Il est difficile d’attendrir un gangsta : « oui, mais moi aussi je veux être à côté de mon frère ». OK, je n’ai ni maman, ni frère dans l’avion. Je cède ma place pour en finir. Les 2 clans me disent merci en arborant des sourires qui m’apaisent.

Je prends la première place libre et un autre steward me gronde gentiment en précisant que c’est sa place. Exténué, je lui explique en onomatopée la situation. Il me conduit à la place initiale du grand frère gangsta – siège côté hublot – où est assis un garçon de 2 ans. Son papa qui est sur le siège côté couloir l’installe sur le siège du milieu pour que je puisse gagner ma place. L’enfant voulait admirer les lumières des maisons tananariviennes du ciel. Il pleure. Lorsqu’il se calme, une hôtesse se penche vers lui et demande « est-ce que ça va ? » sur un ton enfantin. Il fait de grands mouvements de gauche à droite avec sa tête pour dire non. Et il recommence à pleurer.

Parti déjà dans des conditions particulières, ça se confirme : le trajet va être compliqué.

C’est vrai que c’est beau Antananarivo la nuit (auteur : Souvaroff).

L’avion avance sur la piste de décollage. Je ferme un peu les yeux (oui, je ne suis pas très à l’aise en avion). Ça y est. C’est maintenant que j’ai vraiment besoin de cette bière. Quand l’hôtesse arrive avec son chariot, je hurle « une bière s’il vous plaît ! » avant qu’elle me propose quoique ce soit. « Désolé monsieur, il n’y a pas d’alcool sur les vols domestiques ».

La prochaine fois je prendrai le taxi-brousse.

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Auteur·e

fanuet

Commentaires

Valy
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Effectivement, raconté comme ça, on a comme un air "exotique"... On dirait que tu t'es très bien adapté au "moramora", bravo! :)

Stéphane Huët
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Honnêtement, je ne suis pas tout à fait adapté ! Mais je préfère aborder le problème Air Mad de cette façon pour éviter tout dérapage. Parce que, plus sérieusement, je travaille dans le tourisme et tous les jours on s'arrache les cheveux avec eux.