Defeat hangover. Rien ne pouvait mieux décrire mon état ce matin du mercredi 6 mars 2013. Je sais que c’est une plateforme de blogueurs francophones, mais je n’ai pas de traduction convenable.
Manchester United a perdu 2-1 contre le Real Madrid la veille, mardi 5 mars 2013, à Old Trafford. Un résultat qui disqualifie le club anglais, mon équipe, de la Ligue des Champions. Dure soirée.
Defeat hangover ..
— Armand (@14rmand) March 6, 2013
Pour le match aller, le mercredi 13 février, j’avais pris mon scooter dans la nuit (2 heures de décalage entre Madagascar et l’Europe pendant leur hiver) pour rejoindre Hell-Ville, la capitale de Nosy Be. Je m’étais assis à une table dans le seul bar qui diffusait le match avec un coca comme compagnon. Il y avait une grosse majorité de supporters du Real. C’était le premier match de Manchester United que je pouvais voir en entier depuis le début de la saison 2012/2013 (la faute aux coupures d’électricité fréquentes). C’était, à mon sens, un match correct qui laissait présager un beau spectacle pour le prochain match.
Ce mardi 5 mars, je suis prêt à refaire la route seul pour voir le match retour sur grand écran. Mais mon nouveau directeur, fan et joueur de foot, propose de m’accompagner. Enfin l’occasion de commenter les actions avec un collègue, critiquer les erreurs, en me prenant pour Didier Roustan.
Trois semaines après le 1-1 à Santiago Bernabéu, pas de changement de tendance dans le bar. Même mon compagnon de route a une préférence pour les Madrilènes.
Je retrouve le plaisir de regarder un match avec un autre passionné. Mais j’avais oublié les coups de pression et la douleur (oui !) qu’on subit en tant que supporter.
La première mi-temps est impressionnante. Manchester United joue bien et rapidement. Je me régale. Je savoure la présence de Ryan Giggs sur le terrain. Titulaire pour ce 8e de finale retour, il est en train de disputer le 1000e match de sa carrière. Lui, il sait fêter les grands anniversaires. Il est exemplaire, se démenant comme un jeune mort de faim qui a tout à prouver.
On parle de légende. Pour moi c’est un héros.
Trois minutes après le retour des vestiaires, je suis le seul debout dans la salle à célébrer l’ouverture du score. Mais je reste bien cloué sur ma chaise quand Nani se fait expulser. Je ne referai pas le match comme Saccomano.
Nous sommes une vingtaine à regarder le match retransmis par BeIn Sport et projeté sur un grand écran. Dans une petite salle à côté, 3 garçons regardent le match sur une autre chaîne qui retransmet avec quelques secondes d’avance. 66e minute, j’entends des cris sortant de cette salle. Je sais qui ils supportent. 6 secondes après, c’est sur le grand écran devant moi que Modric marque son but. Et seulement quelques secondes plus tard, on entend les mêmes cris prophétiques. Cristiano Ronaldo en remet une couche, mais je refuse de croire que c’est le coup de grâce.
Un supporter du Real est assis à ma table. Je ne sais pas si c’est l’intensité du match, mais j’ai l’impression qu’il me nargue. Chaque action des Mancuniens est critiquée. Dès qu’un Madrilène est au sol, il faudrait sortir un carton. Enfin, il m’explique ce que Sir Alex Ferguson « aurait dû » faire. C’est la goutte d’eau.
Maintenant je suis en colère. J’en veux à la Croatie. J’en veux à Cüneyt Cakir. J’en veux au Portugal. J’en veux à ce foutu décalage qui m’a gâché la surprise (même si elle devait être mauvaise).
Après la colère, je suis un peu abasourdi. Je ne comprends plus trop ce qui se passe. Je vois que les Red Devils poussent mais se heurtent à un bon Diego Lopez. Et puis c’est le coup de sifflet final.
Tout le monde se lève et rentre chez soi.
Dans ce fouillis d’images qui reste de cette deuxième mi-temps, j’apprécie la complicité entre les deux entraineurs – quand José Mourinho s’approche de Sir Alex Ferguson pour lui glisser quelques mots en cachant ses lèvres comme un écolier. Commentant cet échange et les propos de Mourinho après le match, certains disent que l’entraineur portugais n’est pas sincère et qu’il pense seulement à sa gueule ; il voudrait revenir en Premier League et il serait sur la liste des probables successeurs de Sir Alex Ferguson. Moi je vois simplement 2 grands hommes qui se respectent.
Parfois je m’arrête et je réalise que ma ferveur pour Manchester est un peu délirante. Je ne suis même pas Anglais, je ne suis jamais allé à Manchester et les joueurs de cette équipe ne sauraient probablement pas situer l’île Maurice (ou Nosy Be). Mais je suis comme beaucoup d’autres Mauriciens. Chez nous, la Premier League était le seul championnat étranger qui était diffusé sur nos chaînes locales à un moment où les droits de diffusion étaient abordables pour la Mauritius Broadcasting Corporation. Les matchs de Premier League ont provoqué des discussions animées les lundis matins à l’école.
J’étais devant la télé avec un biberon dans la bouche pour le premier match de Sir Alex Ferguson avec Manchester United. J’ai vu mon papa et mon grand-père hurler de joie quand ils ont gagné le championnat en 1993. J’ai vu un supporter de Liverpool souhaiter que son équipe perde contre Blackburn Rovers lors de la dernière journée du championnat 1995 pour être sûr que Manchester United ne terminerait pas en tête (ah… cette rivalité historique et parfois absurde). J’étais hystérique en 1999 quand Giggs, Sheringham et Solskjær ont renversé un match fou contre le Bayern Munich en finale de la Ligue de Champions. Tout ça forge, forcément, un supporter.
Dans une édition de l’Équipe Magazine « spécial Manchester », le portrait d’un supporter m’avait touché. Sa dévotion pour le club le faisait conclure « rien n’est plus important que Manchester United et Molly, ma chienne. Ma femme le sait ». Je n’en suis pas encore là.
À Nosy Be, après un match ou un spectacle, les gens se lèvent et se dispersent. Pas de débriefing comme on sait si bien le faire, pas d’analyse pompeuse.
Ce fameux mardi 5 mars 2013, je suis comme eux. Pas un mot sur le match sur le chemin du retour. J’ai du mal à réaliser ce qui vient de se passer. J’y croyais tellement. Même après l’expulsion de Nani j’ai osé dire « on va gagner » à mon directeur.
Jamais un match de foot n’avait eu un impact aussi violent sur mon moral.
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