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Donnez-moi la réplique

On croyait que c’était terminé. On commençait à se détendre. Les répliques étaient devenues plus rares et moins fortes. Ceux qui ont dormi à l’extérieur pendant deux semaines, inquiets par les fissures dans leurs maisons, étaient enfin rentrés chez eux.

Et bam ! Ça a repris ce mardi 12 mai à 12h50. Une bonne réplique de 6.8 magnitude locale, selon le centre de sismologie du Népal – 7.3 si l’on se réfère aux mesures du United States Geological Survey (USGS). Elle était puissante, mais surtout longue. Peut-être 25 secondes.

Les répliques enregistrées par le National Seismological Centre le mardi 12 mai © S.H
Les répliques enregistrées par le National Seismological Centre le mardi 12 mai jusqu’à 17h © S.H

J’étais encore avec mes chers collègues. J’étais encore assis. Mais cette fois devant mon ordinateur. Le temps que je me demande ce que je devais faire, cinq étaient sous leur bureau. Sauf une collègue et moi qui sommes restés assis. Et notre boss : il était debout, tenait une colonne au milieu de la salle et il rebondissait comme s’il était dans un bus Sajha Yatayat (ou de Rose-Hill Transport).

Ça a tangué. Les câbles électriques fixés au poteau juste en face de ma fenêtre faisaient l’élastique. On est descendus quand ça s’est arrêté – notre bureau est au deuxième étage. Tous les gens du quartier étaient dans la rue. On a levé la tête vers les vieux bâtiments pour évaluer leurs résistances – comme si on aurait pu faire un diagnostique.

On est allé dans un restaurant proche du bureau. On a pianoté frénétiquement sur nos téléphones pour savoir où était l’épicentre et connaître la puissance de cette dernière secousse. On a vu beaucoup de conneries. Un épicentre en Afghanistan, un épicentre en Chine, et la magnitude qui changeait tout le temps : 6.9, 7.1, 7.3 ou 7.4.

On a vu des photos. Des marées humaines dans les rues de Katmandou parce que des personnes étaient sorties comme l’exige la consigne de sécurité.

Plusieurs personnes se sont installées à Itumbahal après la réplique de 12h50 le 12 mai © S.H
Plusieurs personnes se sont installées à Itumbahal après la réplique de 12h50 le 12 mai © S.H

Ça a rebougé quelques minutes plus tard. Katmandou est à 2000km de l’océan Indien. J’ai fait beaucoup de balades en bateau et j’adore ça. Il a fallu que je me retrouve dans un pays enclavé pour avoir, pour la première fois de ma vie, le mal de mer – en tout cas, ça ressemblait aux symptômes que m’avaient décrit ceux qui n’ont pas le pied marin.

Je suis encore « aller voir » Katmandou. À 14h, les rues étaient désertes. Le parc Tundikhel, qui avait commencé à se vider quelques jours plus tôt, avait retrouvé ses anciens locataires. J’en ai profité pour aller poser des questions au centre de sismologie. Je voulais comprendre enfin les différences de magnitude. Bon, ce n’était pas toujours facile à suivre. Mais je sais au moins que quand une secousse est moins forte que le premier séisme, c’est une réplique.

Chez nous, l’immense miroir du salon qui avait résisté à la secousse du 25 avril s’est finalement brisé. Sept ans de malheur ? Les paniers à légumes se sont cassés la gueule. Et une bouteille de shampooing s’était fracassée dans le carré de douche. Autour, les maisons qui avaient du mal à tenir se sont effondrées un peu plus. Certains voisins étaient de retour sur le terrain en face de notre maison.

La réplique de trop © S.H
La réplique de trop © S.H

Le soir, on a accueilli quatre amis qui sont venus dormir dans notre jardin – on a préféré rester prudent. Il y a eu un agréable apéro avant d’aller sous la bâche qui allait nous protéger d’une pluie éventuelle. Ça m’a fait penser que, plus tôt dans l’après-midi, une amie qui me donnait de ses nouvelles écrivait : « je suis sous une table avec un verre de gin tonic ». Le séisme rendrait-il alcoolique ? C’est passager : seulement pour contrebalancer le tangage permanent.

Autour de cette table en plastique rose, on ne se l’est pas dit, mais ça a fait du bien de se réunir. On a parlé du séisme, bien sûr. Et on a posé la question : « mais ça va durer encore combien de temps ? » Mais on a surtout beaucoup ri.

On a encore ri à 2h07 du matin quand on a été réveillés par une secousse. Un bon 4.2 avec l’épicentre juste sous Katmandou. On bien senti et entendu celle-ci. Les voisins se sont affolés. Les corbeaux ont croassé. Les vitres ont vibré. Et toujours ce bruit sourd de la terre qui bouge.

J’ai somnolé pour être à nouveau réveillé par une autre secousse à 3h10. Malgré la magnitude plus élevée (5.9) on a eu l’impression qu’elle était moins puissante que la précédente. Probablement parce que son épicentre était à Dhading, à 41km de Katmandou. Après ça, difficile de dormir. Surtout avec les moustiques qui m’emmerdaient, même après m’être aspergé d’Odomos.

Les répliques enregistrées par le National Seismological Centre dans la nuit du 12 au 13 mai
Les répliques enregistrées par le National Seismological Centre dans la nuit du 12 au 13 mai

Après une brève disparition des pages d’accueil de sites d’information, le Népal est redevenu sur le devant de la scène – à côté du Burundi et Cuba. Mark Zuckerberg a ressorti son safety check. Les messages ont afflué et ça a fait chaud au cœur de les lire (merci).

Pour la famille et les amis au pays, ça a été la goutte d’eau. Mes parents ont été interrogés : « pourquoi vous ne dites pas à Stéphane de rentrer ? » Mais c’est vrai ça, pourquoi je ne rentre pas ? Parce que, de toute façon, il est prévu que je parte définitivement du Népal dans quelques mois. Parce que j’ai l’arrogance de croire que je ne crains rien. Parce que comme me disait un proche « c’est vraiment triste pour beaucoup de Népalais et le Népal, néanmoins quelle expérience unique à vivre, quand on survit ». Parce que je pourrai me la péter en racontant ce que j’ai vécu – d’ailleurs, ça a déjà commencé ici.

Ce matin, j’ai glissé sur un peu de shampooing qui était encore dans le carré douche. Ça m’a donné un haut-le-cœur. Plus que la réplique de la veille. Et puis j’ai ri, encore. Ça serait con de survivre à un séisme et de mourir après une glissade dans sa salle de bain, non ?

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Auteur·e

fanuet

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