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Rumeurs et tremblements

Aujourd’hui, 25 avril 2016, est le triste premier anniversaire du séisme de Gorkha, au Népal – c’était hier, 12 baisakh 2073, si on se réfère aux dates népalaises. Je me suis rappelé des rumeurs drôles et irritantes propagées durant les jours sans réponse d’avril et mai 2015.

Quelle est la différence entre un géologue et un astrologue ? Le géologue donne une hypothèse sur le lieu et la force d’un séisme dans une fourchette de 80 ans ; l’astrologue prédit précisément la date et le lieu d’un séisme. Mais à la fin, les deux se trompent.

Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H
Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H

Une série de séismes est venue à point nommé ce mois-ci rappeler que nous approchions du premier anniversaire du séisme de Gorkha : le Japon, les îles Tonga, l’Équateur et celui d’Afghanistan qui s’est fait sentir jusqu’en Inde – aux portes du Népal. Il n’en fallait pas plus pour que les quelques Népalais figurant dans mes contacts Facebook ressortent un article de janvier 2016 qui prévenait que la zone himalayenne « pourrait » être touchée par un séisme de magnitude 8.2. J’ai eu du mal à accorder du crédit à cet article.

Quelques semaines après le séisme du 25 avril 2015, Roger Bilham, Professeur en géologie à l’université du Colorado, donnait une conférence privée à l’école Rato Bangala de Patan. Il a raconté que lui et ses collègues savaient qu’un séisme important allait toucher la zone himalayenne autour de l’année 2015. Leurs calculs indiquaient que l’épicentre du « prochain gros séisme » serait dans l’ouest du Népal. « Et bien on s’est plantés ! » s’était exclamé Roger Bilham avec un certain entrain.

Comme quoi, même les experts qui bossent avec passion sur le sujet (Pr Bilham nous a dit avec un enthousiasme sincère qu’on avait « de la chance d’avoir vécu ce séisme ») ne peuvent prévoir le lieu et l’intensité d’un séisme – ils émettent uniquement des hypothèses.

Avant de commencer sa conférence, Pr Bilham avait expliqué que celle-ci devait être ouverte au public, mais que les organisateurs avaient préféré l’annuler « pour ne pas créer de psychose ». J’aurais pensé que la psychose naît lorsqu’il y a un manque d’information. Évidemment, chaque catastrophe est accompagnée de son lot de rumeurs. Mais il m’a semblé que les rumeurs répandues après le séisme du 25 avril 2015 résultaient d’un besoin de trouver des explications face à l’inexpliqué.

Pr Roger Bilham lors d'une conférence à l'école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian
Pr Roger Bilham lors d’une conférence à l’école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian

Ces rumeurs m’ont souvent fait rire, elles m’ont parfois irrité. J’ai moi-même cru à la première prédiction du dimanche 26 avril, quand une collègue m’a dit qu’une plus grosse secousse était prévue pour 13h. Ces annonces étaient fréquentes et usantes pour ceux qui y croyaient.

Après les prédictions sont venues les rumeurs sur les causes du séisme. Bien que liées à un événement tragique, certaines étaient mignonnes par leur naïveté. Une rumeur disait par exemple que la terre avait tremblé parce qu’un gros poisson, bloqué sous la croûte terrestre, avait bougé sa queue. Une autre, plus mystique, voulait que le séisme ait été causé parce qu’on avait tué un serpent à tête d’homme.

On a ensuite eu plusieurs histoires sur les conséquences du séisme : le tigre du zoo de Katmandou s’était enfui ; le gouvernement allait émettre un passeport spécial pour que les victimes soient déplacées dans des pays plus sûrs, ou encore cette rue dans le Gorkha, qui s’était ouverte comme une bouche pour avaler un arrêt de bus et tous les gens qui y attendaient puis s’était évidemment refermée sans laisser de fissure. La plus folle de toutes ces histoires, est celle qui annonçait que la lune avait fait une rotation de 180° suite au séisme. On avait tous entendu parler de ces histoires, mais chacun avait sa variante.

Il suffisait d’un simple « j’ai entendu dire que » pour qu’une histoire crédible, mais non sourcée, devienne un fait. On a cru que les Japonais allaient financer la restauration de tous les monuments endommagés par le séisme ; alors que l’ambassade du Japon à Katmandou ne confirmait pas cette information, l’UNESCO expliquait de son côté qu’il s’agissait d’un citoyen japonais qui avait émis le souhait d’aider à la reconstruction des sites patrimoniaux. La vérité est qu’un an après le séisme, il reste encore énormément de choses à faire pour le patrimoine, comme pour les victimes et les déplacés. Malgré la bonne volonté d’organisation privée comme le Kathmandu Valley Preservation Trust (KVPT), les autorités népalaises gèrent très mal ce dossier, ainsi que beaucoup d’autres dossiers qui concernent l’après-séisme.

Quand elles n’étaient pas « la prédiction d’un astrologue », beaucoup de rumeurs étaient suivis de la mention « c’est une info des Américains », dans ce cas tout le monde y croyait. Je me souviens d’une conversation où on parlait des données sérieuses du National Seismological Centre, une personne s’était énervée « mais c’est des conneries ! Qu’est-ce qu’ils en savent ? » Il n’y a plus de bon sens quand on a peur.

L’estampille « info des Etats-Unis » a provoqué une autre rumeur : les fausses prédictions étaient diffusées par les Américains. Une diplomate me l’avait dit très sérieusement avant de pouffer : « ils sont cons ces Américains ». Ils ont bon dos. Je m’étais risqué à faire savoir que les médias indiens avaient diffusé pas mal d’informations erronées. « Mais quel est l’intérêt des médias indiens de faire ça ? » m’avait demandé la diplomate en fronçant les sourcils. « Le sensationnel = audimat. Mais au fait, quel serait l’intérêt des Américains à lancer des rumeurs ? »

Le traitement sensationnaliste par les médias indiens a d’ailleurs vite agacé les Népalais. Ils avaient manifesté leur colère avec #GoHomeIndianMedia hashtagué sur les réseaux sociaux et tagué dans les rues.

#GoHomeIndianMedia peint sur le pont près de l'Ashok Stupa de Pulchowk
#GoHomeIndianMedia peint sur le pont près de l’Ashok Stupa de Pulchowk © S.H

Les médias indiens ne sont pas les seuls concernés par ce type de pratique. Une journaliste mauricienne m’avait appelé pour connaître la situation suite au tremblement de terre. Elle m’avait demandé « racontez-nous, c’est le chaos ? ». Je ne pouvais décrire que ce que je voyais à Katmandou : beaucoup de bâtiments tenaient encore et la vie avait presque repris son cours. « Ah… OK ». J’avais senti la déception dans la voix de la journaliste.

Le 29 avril, suite aux bousculades à la gare routière de Katmandou, j’ai reçu un appel d’un journaliste canadien de 98.5fm qui voulait avoir des précisions. Je lui avais dit que je n’avais pas assisté aux émeutes et que je ne savais que

ce qui se trouvait déjà sur Internet. Il voulait tellement une voix du Népal qu’il a insisté « vous pouvez pas, quand même, dire quelques mots là-dessus s’il vous plaît ? »

Des journalistes népalais ont commenté avec aigreur le traitement du séisme par certains médias étrangers – je suis convaincu qu’il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Les mêmes critiques surgissent aujourd’hui alors que la presse internationale revient au Népal pour faire leurs sujets « un an plus tard ». Elles soulignent par ailleurs que le blocage à la frontière indienne qui avait débuté fin septembre et qui a été tout aussi éprouvant pour le Népal n’avait pas eu une couverture appropriée, vue l’ampleur de la situation.

Finalement, je ne suis pas mieux qu’eux. Je réapparais au même bon moment avec ce titre trouvé depuis des mois (merci Amélie Nothomb) en espérant avoir des clics et des likes.

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Auteur·e

fanuet

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