Le jeudi 27 février, on fêtait Maha Shivaratri à l’île Maurice. Au Népal on dit simplement « Shivaratri » mais c’est la même chose : la nuit de Shiva, le Dieu de la création.
Ça fait un moment que Suresh me suggère d’aller faire un tour à Pashupatinath, un impressionnant temple dédié à Shiva, classé au patrimoine de l’UNESCO. Mais c’est pour voir les vrais Sâdhus qu’il me propose de visiter ce lieu. Parce que j’en ai marre des « saints hommes » en bois qui errent sur le Durbar Square de Katmandou à Basantapur, ceux-là qui nous mettent des tikas sans prévenir et exigent un bakchich pour nous avoir « donné leur bénédiction ».
Shivaratri est l’occasion idéale pour se rendre à Pashupatinath. En plus des Sâdhus, des milliers de dévots y célèbreront le mariage de Shiva et Shakti. Et la phrase est sur toutes les lèvres : « tout le monde fume du cannabis à Pashupatinath le jour de Shivaratri ». On raconte que c’est toléré au Népal le jour où l’on fête Shiva.
Les journaux népalais annoncent une grosse logistique pour accueillir les 700,000 personnes prévues à Pashupatinath. L’organisateur, Pashupati Area Development Trust (PADT), a aménagé des espaces pour héberger les pèlerins. Deux banques ont installé des distributeurs automatiques de billets (DAB) pour permettre les transactions financières liées à la fête (le paiement des employés du PADT et les « offrandes spéciales »). Enfin, plus de 3000 policiers vont se relayer pour assurer la sécurité.
Allons vivre une nouvelle expérience.
Ma première surprise à l’approche du temple est de voir une file d’environ 2 km. Des centaines de personnes avancent, l’un après l’autre, vers le temple accessible uniquement aux hindous. Ce n’est pas le nombre de dévots qui m’étonne, mais c’est bien la première fois que je vois une queue aussi ordonnée au Népal. La puissance des religions. Bien avant la file, au niveau de l’aéroport, ça grouille déjà sur la route. Des pèlerins avec de gros sacs sur le dos se dirigent vers Pashupatinath – il paraît qu’il y en a qui marchent depuis l’Inde. Pas étonnant quand on sait que le temple de Pashupatinath de Katmandou est considéré comme l’un des plus sacrés du monde, vénéré aussi bien par les hindous que par les bouddhistes.
Suivant des indications de quelques habitués de la fête, on évite l’entrée principale pour ne pas avoir à payer les Rs1000. Après quelques mètres sur une piste, on atteint une porte sans guichet. On va pouvoir faire du voyeurisme gratuitement, me dis-je. Mais un jeune homme nous interpelle et nous invite à venir payer l’entrée dans son bureau qui se trouve 50 mètres plus loin. Pendant ce temps, environ 10 personnes sont en train de passer par cette même porte sans payer.
Après quelques marches vers le centre du site, on voit deux lépreux tremblant allongés par terre. Cette vision est pénible et je mets quelques minutes avant de reprendre mes esprits. On arrive à une place où l’on voit enfin plusieurs Sâdhus qui sont installés dans les espaces au milieu de chaityas. La plupart sont assis en rond et discutent. Il y a un qui chasse des singes qui convoitent ses fruits. Trois comptent leur argent et deux autres fument de la ganja dans leur chillum.
Au fur et à mesure de notre visite, on découvre des petites places où sont éparpillés des dévots qui chantent un bhajan à Shiva et des Sâdhus qui récitent des prières. À côté, d’autres fument leur chillum et proposent de fumer avec eux : « vas-y, tu as le droit ». Il y a aussi quelques fantaisistes qui rappellent ceux de Basantapur. Ils posent, demandent aux passants de les prendre en photos et demandent tout de suite quelques roupies. Il y a un qui porte un bonnet de joker et ça lui va plutôt bien.
Plus bas, sur les berges du fleuve Bagmati qui passe au milieu du site, trois enfants font un petit spectacle de cirque. Sur l’autre rive, on assiste à des crémations.
L’heure tourne. Les pèlerins sont de plus en plus nombreux et les quelques gouttes commencent à tomber – « il pleut toujours à Shivaratri », nous a-t-on prévenu. À 11h30, on décide de partir avant d’être noyé dans la marée humaine qui monte ou sous le déluge.
Avant de me rendre à Pashupatinath, j’avais quelques appréhensions alimentées par des chiffres abracadabrantesques et les fantasmes de ceux qui imaginaient des hordes de profiteurs complètement défoncés à la ganja. Pour ces mêmes descriptions, certains pensent que l’engouement pour Pashupatinath à l’occasion de Shivaratri est exagéré. Ni blasé, ni survolté par cette expérience, je considère que Pashupatinath offre un décor et une ambiance qui valent vraiment le détour.
Pour Tihar, j’avais appris un peu plus sur le Divali, une fête dont j’ai été témoin à l’île Maurice jusqu’à mes 18 ans. J’ai un peu le même sentiment pour Shivaratri.
Les kawals et les pèlerins faisant partie du décor de la fête de Maha Shivaratri depuis mon enfance, je n’y avais jamais prêté attention. Grand-Bassin, c’est un peu le Pashupatinath de mon pays. J’y suis allé plusieurs fois, mais jamais lors de la célébration de Maha Shivaratri.
Poussé par la curiosité et la certitude d’assister à des scènes inédites, c’est à Katmandou que j’ai voulu voir de plus près à quoi ressemble la vénération de Shiva, le Dieu des Dieux, le Dieu de tous les êtres vivants, la source de la paix et la béatitude éternelles.
J’ai tout de même noté quelques différences dans les façons de célébrer entre mon pays et ma terre d’adoption.
Pour commencer, je ne pense pas qu’on verra de sitôt des Sâdhus fumant de la ganja à Grand-Bassin. À Katmandou, je n’ai jamais vraiment senti que Shivaratri arrivait. À l’île Maurice, on peut voir les pèlerins qui marchent en portant les kawals une semaine avant le jour-J. Dans les petites rues de Katmandou, seuls les enfants qui bloquent la circulation en tirant des cordes pour demander aux automobilistes et motocyclistes un peu d’argent annoncent Shivaratri. Enfin, je n’ai pas eu l’impression qu’au Népal, cette cérémonie religieuse soit aussi politisée qu’à l’île Maurice. Le président Yadav était bien à Pashupatinath, mais dans son discours, il a souhaité que Shiva fasse du bien à tous les Népalais au lieu de lancer des piques à ses rivaux.
Aujourd’hui (dimanche 2 mars 2014) c’est Losar, le Nouvel An tibétain. Bien qu’il y ait plusieurs Tibétains réfugiés au Népal et que le bouddhisme y soit aussi pratiqué, il n’y a pas de grosse célébration à Katmandou. On m’a expliqué que ça se fête discrètement en famille. Je vais quand même aller au stupa de Bodnath – l’un des plus grands au monde, également classé au patrimoine mondial de l’UNESCO – pour voir s’il se passe quelque chose de spécial. Peut-être que, cette fois, je vais assister à une fête religieuse qui n’est pas célébrée chez moi ?
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