J’étais parti pour payer une facture d’électricité. Me voilà embarqué dans des péripéties pour payer une contravention pour stationnement interdit.
Ce mercredi, j’ai repéré où se trouve la Nepal Electricity Authority sur Durbar Marg[1] pour payer ma première facture d’électricité au Népal. J’y suis arrivé à 15h45, alors que les bureaux ferment à 15h. Ce jeudi donc, je sors tôt pour y être à l’ouverture des portes. Comme je suis un peu en avance, j’entre sur la New Road, le paradis des nouvelles technologies à Katmandou, pas loin de Durbar Marg.
Comme la Nepal Electricity Authority, beaucoup de magasins ouvrent à 10h. Alors je gare le scooter sur le trottoir, juste derrière une voiture, devant un horloger encore fermé. Tout le monde se parque n’importe où ici, surtout les deux roues.
Sans m’en rendre compte, je m’attarde sur des articles dont je n’ai absolument pas besoin. Le temps passe et je me rappelle qu’il y a cette facture à payer.
De retour à ma place de parking, le rideau métallique de l’horloger est levé et mon scooter a disparu. Horreur. Je pense au vol et à la fourrière, en espérant que ce soit simplement le commerçant qui l’a déplacé pour ne pas gêner l’accès sa boutique. Je lui demande s’il a vu quelqu’un toucher à mon scooter. Le monsieur lève la tête avec impassibilité, les paupières mis closes : « oui, c’est la police ».
Bien qu’on m’ait prévenu sur le comportement de certains policiers de Katmandou, je ne sais pas à quoi m’attendre. J’oublie tout et décide de rentrer dans l’arène pour faire ma propre expérience. Je suis tout excité.
Au poste de police, on me dirige vers une minuscule cabine qui contient une petite armoire, un petit bureau, une chaise et le policier qui va avec – appelons-le Raj. Il m’invite à m’asseoir.
« Vous avez enfreint la loi. Vous aurez une amande de Rs200 à payer. C’est OK ? » On dirait les « comment on fait ? » des policiers de Nosy Be quand ils surprennent quelqu’un qui a transgressé le précieux code de la route malgache.
C’est OK pour moi, je vais payer l’amende car je n’ai pas envie d’avoir recours à une alternative peu légale. Il essaie encore :
« Je vais vous donner un reçu, vous aurez à aller à notre banque, payer là-bas. Ils vont vous donner un autre reçu que vous allez me donner pour pouvoir récupérer votre scooter. C’est OK pour vous ?
– Écoutez, j’ai déjà enfreint la loi une fois. Je ne vais pas aggraver mon cas. Je vais donc faire ce que vous me dites pour que je puisse récupérer mon scooter », dis-je, imperturbable.
Il y un civil qui entre dans la cabine. La bouche cachée dans son écharpe, il marmonne quelques mots en népali à Raj. Celui-ci reprend dans ma direction :
– Est-ce que vous parlez népalais ?
– Non mais, ma koshish siknu[2].
Il fait une moue, se frotte la tête et inspire bruyamment entre les dents d’un air de dire « c’est embêtant pour vous ». J’ai décidé que rien ne sera embêtant pour moi. Je suis prêt à perdre une journée pour faire les choses dans les règles et m’assurer que un paisa (le centime népalais) n’ira pas dans sa poche. Essaie toujours mon gars, j’ai une patience en béton !
Un autre policier rentre dans la cabine – on y est coincés maintenant – pour dire que son walkie-talkie ne fonctionne pas (enfin, c’est ce que je devine par la situation). Raj m’oublie. Il prend l’appareil, enlève la batterie pour noter le numéro de série. Il essaie de le démonter, mais n’y arrive pas. Il prend un autre papier où il écrit à nouveau le numéro de série. Il montre les chiffres à son collègue pour être bien sûr de ne faire d’erreur en copiant le numéro. Il en fait une, il prend son Blanco, mais comme ça fait une vilaine tache, il prend un nouveau papier et recommence.
Du coup, je me dis que le béton ça peut quand même être fragile.
Une fois le manège des outils défectueux terminé, Raj me regarde et dit « Oh ! » comme s’il avait oublié ma présence.
« Je viens de me souvenir que vous pouvez payer directement ici.
– Vraiment ?
– Oui, je fais ça pour vous aider, ce sera plus simple pour vous.
– C’est tellement gentil de votre part ».
Il prend son carnet, rempli une feuille avec des informations que je devine sont la date, l’infraction, le type de véhicule. Il y écrit mon prénom en l’alphabet népali – c’est très joli – et je signe.
Quand je lui donne les Rs200, il les glisse rapidement sous son carnet et un autre policier assez âgé – appelons-le Sunil – rentre dans la cabine.
Raj me dit « C’est OK, vous pouvez y aller ». Un peu étonné et surtout avec l’envie de narguer, je demande un reçu, parce que ses collègues ne vont pas me laisser sortir comme ça sans la preuve que j’ai payé l’amende. Petit fougueux que je suis !
Il y a comme un malaise. Raj et Sunil se parlent en népali. Ce dernier me demande de me lever, s’assoie à ma place et remplit un coupon qu’il me tend, accompagné du papier que j’ai signé et mes Rs200 : « allez à la Global IME Bank pour payer l’amende. Ils vous donneront un reçu que vous présenterez pour pouvoir récupérer votre scooter ».
La lutte contre la corruption vaut bien la perte de quelques minutes de plus dans cette journée déjà bousillée.
Selon les indications de mes amis policiers, en sortant du commissariat il faut tourner à droite (en direction du rond-point Juddha Salik) pour rejoindre leur banque. Par prudence, je demande confirmation à un commerçant. Il m’indique que la Global IME Bank est dans l’autre sens, vers Kanti Path. Après quelques bonnes minutes dans cette direction, je demande à trois garçons assis sur les marches de la Kesha Plaza si la Global IME Bank est loin. « Non, mais vous n’êtes pas dans la bonne direction, il faut aller vers Juddha Salik », me répond l’un d’eux. OK, pense à la lutte contre corruption Stéphane. Je reprends la direction que m’ont indiquée les policiers. J’arrive dans une rue où il y a plusieurs banques, mais pas celle que je cherche. J’aime beaucoup parler aux gens dans la rue, mais là je préfère me faire aider par Google Maps sur mon téléphone XOLO (marque indienne, ultra performante).
Bien que cachée derrière des files électriques qui pendent, la Global IME Bank est pile à l’endroit indiqué par Google Maps.
Mais je me sens mal en m’approchant de l’entrée de la banque. Comme si je sais ce qui m’attend. Quand j’ouvre la porte, un agent de sécurité me sonde avec son détecteur de métaux dans une salle bondée. Je prends un ticket. J’ai le numéro 166 et c’est au tour du 120. C’est pour la lutte contre la corruption, Stéphane.
Heureusement, le temps passe vite et les bips du panneau qui affiche les numéros de ticket s’affolent. Le 165 était trop dissipé, il ne s’est pas levé au bon moment. On appelle donc le 166, c’est moi ! Après une bonne minute au comptoir, le 165 me bouscule un peu et passe sa tête entre le guichetier et moi. Je fais tourner ma bétonneuse – il ne faut pas que cette personne paie pour tous les supplices que je m’inflige depuis une heure. « Excusez-moi, il traite ma demande » lui dis-je avec un sourire forcé.
Et puis les choses vont vite. Je récupère mon scooter et au point où j’en suis, je décide de tester les limites de ma patience. Je vais finalement à la Nepal Electricity Authority pour payer cette facture. L’homme au guichet n’arrive pas à lire mon numéro client – effectivement, l’encre s’est un peu effacée. Il m’emmène dans le bureau du directeur – férocement gardé – pour trouver une solution.
Quand j’explique à Monsieur le Directeur où j’habite, il me dit « aaah… mais vous n’êtes pas au bon endroit. Il faut aller à notre bureau de Pulchowk, Lalitpur. Mais faites vite, sinon vous allez avoir une amende pour retard de paiement ».
OK. J’irai payer la facture à Pulchowk un autre jour. Mais là tout de suite, j’exige une médaille pour récompenser mon combat contre la corruption.
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