Rokia Traore était en concert au Teat Plein Air de Saint-Gilles de La Réunion les 4 et 5 octobre 2013. Dix ans après m’avoir brusquement sorti du lit, son mélange de musique mandingue, blues et rock & roll a réchauffé une fraîche nuit de cette fin d’hiver austral.
Début des années 2000. La chaîne hifi était toujours allumée pour que je m’endorme. Souvent avec un CD de Radiohead, rarement branchée sur la bande FM. Ce soir-là c’était RFI. Le petit cadrant orange qui affichait « 93.2 » était la seule lueur de ma chambre d’adolescent. Et soudain, la retransmission du concert d’une chanteuse malienne est venu éblouir mon univers de 10m2.
Je ne comprenais pas les paroles. Les mélodies étaient différentes de tout ce que j’écoutais à cette période. Mais cette voix et ces sonorités étaient percutantes. Une animatrice radio a prononcé le nom de la chanteuse. Je suis sorti de mon lit et j’ai noté ce que j’avais compris. À une époque où Google ne faisait pas encore d’autres propositions d’orthographe quand on écrivait mal sa recherche, j’ai mis quelques heures à retrouver Rokia Traore.
En écoutant ce concert, j’imaginais la scène : l’ambiance, les instruments, la grâce de la chanteuse.
Le temps est passé et j’ai perdu de vue de cette chanteuse qui m’avait ouvert la voie vers ce qu’on appelle « les musiques du monde ». Oumou Sangaré, So Kalmery, les Espoirs de Coronthie, D’Gary ou encore Mounira Mitchala sont alors entrés dans ma discothèque.
Concert en crescendo
Plus de dix ans après cette illumination, j’ai la chance de voir madame Rokia Traore au Teat Plein Air de Saint-Gilles à l’occasion de la sortie de son cinquième album, Beautiful Africa. Caché dans les hauteurs de Saint-Gilles et tourné vers la mer, cet amphithéâtre est presque mythique – inauguré en 1970, il a été classé aux monuments historiques en juillet 2012.
Ce vendredi 4 octobre, le public discipliné est assis alors que Rokia Traore est ses musiciens commencement sagement. Elle n’a rien perdu de son élégance.
Après quelques titres calmes, Rokia Traore pose sa guitare et les premières notes de Zen (extrait du quatrième album, Tchamantché) retentissent. La foule et la scène se réveillent. La chanteuse nous gratifie d’un discret déhanché qui suffit pour nous emporter. La bassiste Ruth Goller exécute, elle, un petit pas de danse comme celui de Dave Matthews.
Les chansons du cinquième album s’enchaînent ensuite : Ka Moun Kè, Lalla, Beautiful Africa et Sikey.
L’harmonieuse association de la guitare électrique de Stefano Pilia et du n’goni de Mamah Diabaté confirme qu’il est bon que les musiciens s’aventurent dans d’autres contrées – comme l’avaient déjà montré les excellents Juldeh Camara avec son riti gambien et Justin Adams avec sa Gibson bluesy.
Lorsqu’elle interprète Tuit Tuit, Rokia Traore nous invite à danser : « c’est si agréable de voir vos têtes bouger en face de nous qu’on se dit que ce serait mieux de vous avoir debout ». Mais on a du mal à suivre la chorégraphie frénétique qu’elle effectue avec ses choristes, Fatim Kouyaté et Bintou Soumbounou.
Après le rappel, elle rend hommage à Billie Holliday qui est une inspiration pour sa musique. Rokia Traore reprend magnifiquement Gloomy Sunday, un des titres que la chanteuse de jazz avait interprété en 1941.
Afrique, belle et électrique
Lancée en 1997 par le génial Christian Mousset – créateur du festival Musiques Métisses qui a contribué au rayonnement de beaucoup d’autres pépites comme Cesaria Evora, les Mahotella Queens et Salif Keita – Rokia Traore électrise un peu plus sa musique sur Beautiful Africa. Pour ce cinquième album, elle collabore avec John Parish, producteur de PJ Harvey. Coïncidence : le riff de basse de Lalla rappelle vaguement celui de Crawl Home, un duo de la chanteuse anglaise et Josh Homme sur Desert Sessions 9 & 10.
On entend souvent la même lamentation : les musiciens africains perdraient de leur authenticité en travaillant avec des producteurs occidentaux ; tout ça dans le but de « formater leurs musiques aux oreilles des blancs ». Et après, on en revient à la question : est-ce que les musiciens « d’ailleurs » doivent toujours faire dans l’ethnique ? Des débats intellectualisés qui ne nous empêcheront pas de profiter simplement de la musique.
Et puis, quelle importance ? OK, il n’y a plus de balafon sur Beautiful Africa et le son de Rokia Traore a évolué, mais il est toujours aussi bon.
Dans son interview du jeudi 3 octobre sur Antenne Réunion, Rokia Traore rappelait que, même si Beautiful Africa est tourné vers l’occident, l’album est néanmoins une déclaration d’amour à l’Afrique qu’elle n’aurait « pas eu besoin d’exprimer s’il n’y avait pas eu les troubles dans le nord du Mali ».
Bien que consciente des « difficultés » de son continent, mais surtout de la difficulté « pour les Africains de bâtir leur continent en ayant en arrière plan l’image négative qui date », elle profite de cette ouverture pour montrer les choses positives de l’Afrique. « Quand on peut, il est important de montrer que l’Afrique a autre chose que cette image négative ».
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