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Un mois et puis s’en va

On ne sait pas si ce mois a été long. On a perdu la notion du temps. Il s’est passé beaucoup de choses à Katmandou depuis le 25 avril 2015. Tout s’est enchaîné. Tous ceux qui le pouvaient se sont activés, d’une manière ou d’une autre – parce qu’ils n’avaient pas le choix, par altruisme ou par obligation professionnelle.

Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H
Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H

À mesure qu’on s’éloigne du 25 avril, on aime penser que les choses s’arrangent. Mais samedi 23 mai, une tempête a fait des ravages dans Katmandou – une personne est morte, écrasée par un arbre. Pour enfoncer le clou, il y a eu un glissement de terrain dans le district de Myagdi où 25 maisons ont été détruites, mais heureusement pas de victime. Comme si la nature voulait fêter ce premier mois après le séisme.

On veut penser que les choses changent. Mais pendant un mois, le sol a continué de ronfler. Tous les jours, le centre de sismologie recense environ quatre secousses d’une magnitude supérieure à 4. Et ça va continuer. La dernière secousse enregistrée était ce lundi 25 mai à 11h, avec une magnitude de 4.1 et l’épicentre dans le Dolhaka.

Parfois on croit que la terre a bougé. C’est seulement une Royal Enfield qui passe, un téléphone sur la table qui vibre ou un mélomane qui bat la mesure The view from the afternoon avec son talon. Lors de ces tremblements mensongers, certains décollent rapidement, mais pas complètement de leur chaise. Dans leurs yeux grands ouverts – je déteste ce regard que je dois probablement avoir au même moment – on lit la peur et l’interrogation. Quand ils comprennent que c’est une fausse alerte, ils se rassoient en soupirant.

Quand ce sont de vraies secousses, on court à l’extérieur. Ça passe et on réactualise le site Internet du centre de sismologie toutes les minutes pour avoir la confirmation. On est alors partagé entre deux sentiments. Rassuré : « ouf, je n’hallucine pas ». Irrité : « mais putain, ça s’arrête quand ? »

On ne sait pas. Les sismologues ne peuvent pas le prédire. Le géologue britannique, Roger Bilham, disait que lui et ses copains de l’université du Colorado avaient émis des hypothèses sur le scénario du prochain séisme qui allait toucher le Népal après celui de 1934. En montrant des schémas de ses hypothèses et de ce qui s’est réellement passé le samedi 25 avril 2015, il a conclu avec un sourire : « on s’est planté ». Cette impuissance de la population mélangée à la peur et au besoin de savoir donne lieu aux rumeurs les plus insensées (peut-être le sujet d’un prochain billet).

Pr Roger Bilham lors d'une conférence à l'école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian
Pr Roger Bilham lors d’une conférence à l’école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian

C’est une inquiétude quasi permanente. Le 25 avril et le 12 mai sont encore bien présents dans les conversations. On dédramatise en essayant d’en rire. Mais est-ce vraiment raisonnable ? Au lieu de rigoler, on ferait mieux de vénérer ceux qui se cassent en quatre pour aider les autres. Comme ils utilisent Facebook pour poster des romans et des photos relatant leurs performances, je peux les soutenir avec mes likes.

Le dessinateur népalais, Rabindra Manandhar illustre le spectacle de la distribution du matériel de secours après le séisme du 25 avril
Le dessinateur népalais, Rabindra Manandhar illustre le spectacle de la distribution du matériel de secours après le séisme du 25 avril

Après 30 jours, les annonceurs n’achètent plus de publicités dans les médias népalais. Quelques journaux et chaînes de télévision n’ont plus d’argent et sont obligés de remercier leurs journalistes.

Après un mois, les philanthropes de l’aide humanitaire sont toujours là avec leurs mignons gilets arborant le nom de leur organisation. Ils resteront encore au moins deux mois. Les sceptiques se demandent si ces aides sont vraiment efficaces sur le terrain et se posent des questions sur l’argent utilisé. On craint que le Népal revive ce qu’a vécu Haïti en 2010. En attendant, beaucoup de Népalais se serrent les coudes. Ils se débrouillent seuls parce qu’ils n’ont pas d’autres choix.

Pendant quatre semaines j’ai parlé à quelques-uns d’entre eux. Ils avaient certainement mieux à faire, mais ils ont pris le temps de me raconter leur histoire. Comme ce monsieur à Harisiddhi, debout sur les débris de sa maison où sa sœur est morte ensevelie. Après avoir répondu à mes questions, il s’est soucié de savoir si j’avais faim. Le Népal peut vraiment nous faire culpabiliser.

Quand on est dans la circulation chaotique sur Pulchowk, il est facile de penser que c’est le retour à la normale. Il suffit de voir, deux kilomètres plus loin, des bâches protégeant des sans-abris sur le rond-point de Maitighar Mandala pour réaliser que finalement, c’est encore la merde pour beaucoup.

Après un passage sur le Kathmandu Durbar Square défiguré, on se demande quand tout ça redeviendra vraiment « normal ». Mais on trouve toujours une petite lueur d’espoir en voyant que les petites scènes qui font le charme de cet endroit perdurent.

23 mai, Kathmandu Durbar Square : tout n'est pas perdu © O.B
23 mai, Kathmandu Durbar Square : tout n’est pas perdu © O.B

Un mois après le tremblement de terre, on est moins dans l’urgence. On a des journées avec des moments libres où l’on a l’occasion de prendre du recul. Ça fait bizarre. Mais il faudra endurer encore plus de moments où l’esprit naviguera en eaux troubles sans qu’on puisse tenir le gouvernail.

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Auteur·e

fanuet

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