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A prori au pilori

« Il n’y a rien à faire à Maurice ». Éternelle rengaine de quelques snobs, tellement gourmands d’art que les quelques activités culturelles de la petite île Maurice ne peuvent abreuver. Pourtant il y a, ici et là, des initiatives modestes mais surprenantes de qualité qui méritent d’être saluées.

La semaine dernière, par exemple, nous avons eu droit un petit îlot de créativités intéressant.

Il y a d’abord eu cette rencontre étonnante avec la poésie. Je ne suis pourtant pas un amateur du genre. J’ai toujours cru que je n’y comprenais rien. J’ai essayé Raymond Chasle, Tishani Doshi ou Rimbaud. Ça ne m’a jamais rien fait.

Poésie graphique, projet d'une poète et cinq graphistes mauriciens
Poésie graphique, projet d’une poète et cinq graphistes mauriciens (source)

Et quand la poésie est associée graphisme, ça donne quoi ? Les graphistes Nicolas Bastien-Silva, Gabrielle Thévenau, Emilien Jubeau, David Rogers et Jonathan Nanine ont mis en image des textes de Claire Thévenau. Le projet, sobrement intitulée Poésie graphique, était visible au Pavillon du Caudan Watefront du 17 au 24 septembre. Une petite semaine, donc, pour apprécier ce travail original.

Intrigué par le concept, je me suis empressé d’aller découvrir ce projet dès son deuxième jour. Le Caudan Waterfront était relativement désert l’après-midi du dimanche 18 septembre. Ça m’a permis de déambuler tranquillement entre les images poétisées.

Poésie graphique c’était cinq poteaux à quatre faces, disposés dans le large passage entre le Sunset Café et le port de plaisance du Caudan Waterfront. Montages, collages, illustrations, déformations et géométries, chaque graphiste a créé un univers pour accompagner les très beaux textes de Claire Thévenau. Chose intéressante : un même graphiste a suscité quatre différentes émotions sur son poteau. Ou était-ce les textes qui provoquaient cela ?

Je m’attendais à ce que les visuels fassent écho aux textes, mais ce n’était pas le cas. C’est pourquoi Poésie Graphique est agréablement déroutant. On n’est pas sûr de savoir si ce qui nous touche. Les images, les mots ou les deux en même temps ?

En repensant à l’exposition plus de deux semaines après ma visite, ça semble plus évident. Les images passent après les textes remarquables. « Tout ce qui te touche, me transperce » ou « Puisque rien n’est fait pour durer / Ni ton amour, ni ma beauté / Pas même la machine à laver / Séparons-nous de tout, de nous / Des objets, des habits trop lourds / Des faux amis qui nous entourent ». Je me souviens avec plaisir de ces petites phrases suspendues.

Poésie graphique au Pavillon du Caudan Waterfront, du 17 au 24 septembre 2016 © S.H
Poésie graphique au Pavillon du Caudan Waterfront, du 17 au 24 septembre 2016 © S.H

Ce n’est qu’en visitant Poésie graphique que j’ai appris que mon amie Émilie Pascal avait illustré les poèmes de Claire Thévenau dans le livre La poursuite du meilleur. Je n’aurais pas fait le déplacement pour rien.

Autre surprise de la semaine dernière : le concert de la chanteuse israélienne, Ester Rada au Jam Inn (ex Phare Kiltir Loft) organisé par Culture Events Production. J’aurais pourtant pu passer à côté. La communication sur l’événement était quasi inexistante. Et ma connaissance des musiciens israéliens va de l’énervant Asaf Avidan à l’émouvant Avishai Cohen. Après un petit tour sur YouTube, j’ai placé le curseur d’Ester Rada juste entre ces deux-là. C’est une musique gentillette, agréable à écouter en prenant un verre.

C’est exactement ce que j’ai fait en arrivant au Jam Inn le 22 jeudi septembre. Je me suis dirigé vers le bar en attendant le début du concert.

C’est avec 1h40 de retard et avec un rythme irrésistible que le batteur Dan Mayo a signalé le début de la fête. Ester Rada est apparue dans une longue robe à rayures dorées qui m’a fait penser à des habits d’Egyptiennes dans les films.

Elle était parfaite sur scène. Son gracieux mouvement d’épaules en rythme avec la musique faisait onduler ses rayures dorées pour ajouter au magnétisme naturel. En plus, elle était bien entourée. Un claviériste funky qui ressemble à Mathieu Kassovitz, un saxophoniste-flûtiste captivant qui mêle klezmer et ethio-jazz, un bassiste nonchalamment groovy. Et ce batteur qui m’hypnotise avec ses rythmes qui ne tombent jamais dans la facilité. On avait l’impression qu’il caressait les peaux des toms avec ses baguettes, mais le son disait tout à fait autre chose.

Ce jeudi 22 septembre au Jam Inn, Ester Rada était électrique, jamais gentillette. Elle était particulièrement merveilleuse quand elle s’est appropriée le Feeling Good de Nina Simone. Je n’ai perdu aucune goutte de cette belle surprise qui confirme une fois de plus que la musique se ressent en live.

Petit bémol, néanmoins, pour la sonorisation qui n’était pas toujours agréable à cause d’un mauvais réglage de la basse. C’était aussi dommage de voir le peu de spectateurs ce soir-là. On se demande d’ailleurs comment Culture Events Production s’y retrouve.

Ester Rada à Jam Inn, le 18 septembre 2016 © S.H
Ester Rada à Jam Inn, le 18 septembre 2016 © S.H

Après le concert qui a duré 80 minutes, j’ai parlé quelques secondes avec Dan Mayo qui m’a appris qu’il joue dans un autre groupe qui s’appelle Tatran. Une autre belle découverte.

Lorsque j’ai parlé de Poésie graphique et d’Ester Rada autour de moi, on m’a répondu « ah, mais si je savais que ça allait être bien… » Évidemment, si on ne sort que pour aller voir les artistes qu’on connaît déjà, c’est sûr qu’on ne découvrira jamais ce qui peut être bien. Moi-même, replié sur mes convictions culturelles, j’ai failli dédaigner ces deux bouffées d’air frais. Comme quoi, on gagnerait à être un peu plus curieux et encourageant pour ces discrètes propositions culturelles.

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Auteur·e

fanuet

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