Stéphane Huët

Bande originale d’un retour au pays

Ça fait sept semaines que je suis de retour à l’île Maurice (et trois mois que je n’avais rien écrit ici). Égaré entre la tristesse d’avoir quitté un pays que j’adore et le plaisir de retrouver mon île natale, il n’y a pas mieux qu’une compilation pour décrire ce mélange de sentiments.

L’appréhension

Il paraît que Salman Rushdie a dit (ou écrit) « un homme n’a pas de racines, il a des pieds ». Comme je n’ai lu aucun de ses livres, je ne sais pas d’où ça sort et si cette phrase est vraiment de lui. En tout cas, j’aime bien l’idée. Je suis parti de l’île Maurice le 2 septembre 2004 pour aller faire mes études universitaires à Avignon. Depuis, je suis passé par Madagascar, La Réunion, le Népal et je n’ai fait que de courts séjours dans mon pays. Quand on est parti si longtemps, on peut perdre ses repères. Même si l’on fait beaucoup d’efforts pour essayer de rester connecté. On peut être régulièrement renvoyé à cet état : être en décalage, ne plus comprendre. Ça fait donc onze ans que j’ai des pieds. Mais lorsque j’ai besoin de me raccrocher aux branches, je finis toujours par me laisser guider vers mes racines.

La nostalgie

Au Népal, il m’arrivait de sentir que j’étais à l’île Maurice. Quand je dis « sentir », ça n’avait rien à voir avec l’odorat. Ni même la vue, l’ouïe, le toucher ou le goût. Ça peut paraître bizarre, mais c’était de l’ordre du sixième sens. Ça me prenait d’un coup, sans raison, sans prévenir. Je me sentais à l’île Maurice. C’est intéressant car l’inverse se produit aujourd’hui que je suis à l’île Maurice. Énormément de situations me ramènent au Népal. Ou alors c’est parce que le pays me manque tellement ? Après m’être toujours senti à ma place au Népal, j’ai souvent l’impression d’être au Népal depuis que je suis à l’île Maurice (en admettant que ce soit « ma place » ici). Il n’y a pas mieux que la musique de Piers Faccini (et ce violoncelle enchanteur) pour illustrer cet nostalgie agréable.

L’optimisme

Lorsqu’on se préparait à partir du Népal, j’ai rencontré deux types de réaction. Beaucoup m’ont dit, « vous êtes fous de retourner en France ! ». Quelques-uns des Mauriciens qui savaient qu’on rentrait à l’île Maurice m’ont dressé une liste exhaustive des bonnes raisons pour ne pas rentrer au pays. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils étaient convaincants. Pourtant, je n’ai jamais vraiment douté de mon choix. À chaque fois, je me suis dit que j’avais le droit de rêver. Et après sept semaines à l’île Maurice, je peux dire, comme Hubert, que « jusqu’ici tout va bien ».

La fierté

En 2009, j’ai eu le privilège de parler à Eric Triton de la musique et de l’île Maurice. Parlant de ses pairs, l’Alain Delon du blues mauricien (il parle de lui à la troisième personne), m’avait dit : « Menwar, c’est pas terrible, il ne fait que dire ‘ay ay lo lo’ et c’est tout ». J’ai dit qu’il y avait plus que « ay ay lo lo » dans les paroles du créateur du sagaï, mais j’étais bien trop intimidé pour en discuter davantage. Pour moi, Menwar incarne parfaitement la richesse de notre culture. Parce que j’ai eu l’occasion de l’interviewer et de le voir plusieurs fois en concert, j’ai constaté que c’était un vrai artiste qui a énormément de respect pour son public. Il y a une semaine j’ai revu Menwar en concert la petite scène Dan Vilaz du festival Kaz Out. Le temps de trois chansons, il nous a comblés, comme toujours. Menwar dit que quand les étrangers arrivent à l’île Maurice et ils ne veulent plus repartir. Ça peut aussi arriver à la diaspora mauricienne.

Plus ça change

Parce qu’une compilation n’est bonne que s’il y a Radiohead. Parce que même si pas mal de choses sont toujours à leurs places à l’île Maurice, j’ai l’impression de ne pas tout saisir, qu’il me faut un peu de temps pour m’adapter. Un peu comme avec les paroles de Thom Yorke sur Kid A – l’album qui marque le renouveau de Radiohead.

Les retrouvailles

Pendant mes études à Avignon, on me demandait souvent si la mer me manquait. J’ai joué le rôle qu’on attendait que je joue : la mer me manquait terriblement, ainsi que le cari poulet et la bière Phoenix. Au Népal, j’ai préféré profiter de ce que ce magnifique pays m’offrait au lieu de me lamenter sur tout ce que je ne pouvais avoir (même en râlant bien fort). Mais trois jours après être rentré à l’île Maurice, je me suis « assis au bord de l’océan en buvant une potion » et j’ai vu le soleil qui plongeait dans cette étendue d’eau salée. Ce n’est que là que j’ai enfin accepté que les couleurs jaune sale et turquoise m’avaient manquées. (J’aurais aussi pu mettre My god is the sun qui est sur le même excellent album).

L’hommage

Parce que la France a aussi été mon « chez moi » pendant six merveilleuses années. J’ai aimé tous les passages furtifs à Paris en découvrant que les Parisiens n’étaient pas si énervants que l’on disait.

L’humilité

Finalement, que je sois au Népal, à Madagascar, en France ou à l’île Maurice, ce n’est pas très important. Ça va pas changer le monde et mes états d’âme ne sont pas très intéressants. C’est juste un bon prétexte pour faire une compilation et pour vous retrouver, mes lecteurs adorés.


« In Visible » : sentir les images

Le photographe Rohan Thapa a son exposition In Visible au Nepal Art Council de Katmandou du 9 au 14 août. Avec 72 portraits, il tente de créer des interactions entre voyants et malvoyants.

Le prospectus annonçant l’exposition In Visible était déjà intrigant. Il y avait une grosse empreinte de doigt, les dates, le lieu et le nom du photographe, Rohan Thapa. En cherchant un peu plus d’informations, j’ai lu que l’artiste voulait « combler le fossé entre les malvoyants et les voyants ». Avec des photos ? De quoi me rendre encore plus curieux.

Visuel de l'exposition "In Visible" © Rohan Thapa
Visuel de l’exposition « In Visible » © Rohan Thapa

Devant la porte de la galerie du rez-de-chaussée du Nepal Art Council à Katmandou où est In Visible, on réalise que l’expérience ne sera pas uniquement visuelle. Le premier sens à être stimulé est l’ouïe. Une mélodie aérienne d’Andy Stott accueille les visiteurs. En entrant dans la galerie, on constate que cette musique accompagne la vidéo (provenant des archives d’une clinique ophtalmologique) d’un œil qui cligne, projetée sur un mur blanc de la galerie. On peut lire la présentation de l’exposition sur le mur perpendiculaire. Les deux autres murs sont vides.

Dans In Visible, six présentoirs en forme de prisme triangulaire horizontal sont alignés au milieu de la salle. Soixante-douze photos sont réparties en groupes de 12 sur deux faces de ces présentoirs. Ce sont les portraits de personnes qui viennent de se faire opérer au Tilganga Eye Hospital. Toutes les photos sont en noir et blanc – et floues.

L'exposition In Visible a été agencée par photo.circle © Gopen Rai
L’exposition In Visible au Nepal Art Council de Katmandou a été agencée par photo.circle © Gopen Rai

Quand Rohan Thapa est allé prendre ces photos au Tilganga Eye Hospital il y a trois ans, il n’avait pas d’idée précise en tête. « Je savais seulement que je voulais faire un travail sur les problèmes de vue au Népal », m’explique le photographe. Les premières photos qu’il avait développées étaient sorties floues par erreur. « Je me suis rendu compte que les gens que je photographiais devaient probablement me voir de cette façon », poursuit-il. De cette erreur technique lui est venu le concept de son exposition.

En survolant cette exposition mise en place par photo.circle, je n’ai vu que des portraits flous, une série redondante. Je me suis dit que c’était encore une arnaque cachée derrière un autre « concept artistique ». Mais en prenant le temps de regarder chaque photo, je me suis senti mal à l’aise. Ça me dérangeait de ne pas pouvoir distinguer les détails des visages que j’avais en face de moi. Pour un petit instant et dans un espace très limité, le visiteur voyant peut prétendre expérimenter les contraintes des personnes sur les photos. Étant myope, ça m’a rappelé la sensation asphyxiante lorsque je ne porte pas mes lentilles de contact. C’est là que j’ai pensé que Rohan Thapa parvenait à combler une partie du fossé.

Les 72 photos ont également des petits points en relief dans différents alignements. Ce sont en fait des mots utilisés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme qui sont imprimés en braille. Fait tout à fait inhabituel dans une exposition : le visiteur d’In Visible est invité à toucher les photos pour sentir les mots. L’empreinte de doigt sur le prospectus prend alors tout son sens. C’était un peu bizarre d’avoir cet œil orwellien qui me regardait en train de faire ce qui est habituellement interdit dans les galeries – si l’on exclut l’exposition Touchez le Prado qui permet aux malvoyants de découvrir des tableaux du Musée du Prado grâce à des reproductions en relief.

Sur chaque image de In Visible est imprimé en braille un mot utilisé dans la Déclaration universelle de Droits de l'Homme © S.H
Sur chaque image d’« In Visible » est imprimé en braille un mot utilisé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme © S.H

Avec In Visible, Rohan Thapa voulait donc créer une interaction entre les voyants et malvoyants. Je ne sais pas comment il l’avait imaginée, mais il y a eu une inversion des rôles lors de l’inauguration de son exposition dimanche dernier. Alors que les aveugles sont normalement ceux qui sont guidés, j’ai vu une malvoyante expliquer à sa fille et d’autres visiteurs voyants ce qui était écrit sous les points en relief.

Rohan Thapa dit qu’il a conçu cette « exploration sensorielle » pour mettre en évidence la dépendance visuelle dans notre société. « Notre nature va au-delà, comme un bébé qui palpe tout et met des choses dans sa bouche pour explorer le monde », dit le photographe. Justement, avec le toucher, la vue et l’ouïe, j’aurais souhaité qu’In Visible stimule aussi le goût et l’odorat.


Le séisme en musique

Le 20 décembre 2012, je publiais une compilation des 8 chansons les plus sexy avant la fin du monde. Souvenez-vous : on nous avait prédit l’apocalypse à cause d’un trou dans le calendrier maya. Deux ans et demi plus tard, la Terre est toujours là et je reviens avec une bande-originale d’un séisme au Népal. Cette année, ça swingue pour la fête de la musique.

Elvis Presley – All Shook Up

Vibrations, bruits étranges, tremblements. Le 25 avril 2015, nous avons été des millions à être secoués – aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Entre le moment du séisme de magnitude 7.6 qui frappe à 11h56 et 23h59 ce même jour, il y a eu 37 répliques au-dessus de 4.0. Il arrivait qu’on ne sache plus si c’était vraiment la terre qui bougeait ou si c’était dans notre tête. L’instinct de survie nous fait faire des choses étranges. On fléchissaient légèrement les jambes et mettaient les bras sur les côtés (comme un surfeur) pour tenir l’équilibre. Si la terre tremblait réellement quand on était dans cette position, notre corps ondulait d’une telle façon qu’on croyait avoir le parfait déhanché d’Elvis Presley (qui le doit à Forrest Gump, évidemment). Le King a les genoux faibles et a sent qu’il ne peut tenir sur ses deux pieds parce qu’il est amoureux. Nous, c’était parce que la terre était en colère.

Beatles – With a little help from my friends

À peine 24h après le tremblement de terre du 25 avril, les amis du Népal sont arrivés avant même que le gouvernement n’ait eu le temps de chanter Help!. Ils ont été nombreux à débarquer sans vraiment se coordonner avec les autorités sur place. Tellement qu’à un moment, certaines forces militaires n’ont même pas eu le temps d’intervenir et ont été accueillies par un Hello Goodbye. Dans un élan d’orgueil, le gouvernement népalais a voulu tout contrôler pour faire croire qu’il gérait la situation. Pour ça, rien de plus simple que de jouer le Taxman avec les associations locales qui importent du matériel de secours.

Pearl Jam – Tremor Christ

Le 12 mai, la terre se remet à trembler violemment et c’est long. C’est à nouveau la panique. Autour de moi, certains ont imploré les divinités. Alors, évidemment je pense à Tremor Christ. Même s’il me semble que cette chanson de Pearl Jam parle de la drogue, quelques vers isolés collent parfaitement à mes idées de ce 12 mai. Le destin, la chance, la foi, la perte de contrôle face aux lois de la nature, la survie. La musique transmet la tension. Et au milieu de ça, le groove de la basse de Jeff Ament a quelque chose de paradoxalement rassurant. Tremor Christ est paru sur le troisième album de Pearl Jam, Vitalogy, en 1994. C’était à un moment où le groupe de Seattle était au sommet de la vague. Et encore, si vous entendiez mon ami Ti Zérar chanter Tremor Christ, il vous donnerait plus de frissons qu’Eddie Vedder.

George Brassens – Les copains d’abord

https://www.youtube.com/watch?v=rslShTbqNbo

Comme déjà évoquée plus tôt sur ce blog, la grosse réplique du 12 mai m’a donné l’impression d’être en haute mer. Puisqu’il fallait s’accrocher à un bateau sûr, autant embarquer sur « le seul qui ait tenu le coup » jusque-là. On a retrouvé les copains et on s’est protégé de la pluie sous une grand-voile. Même si on avait pu se sentir impuissant, ça nous faisait du bien d’être tous ensemble dans la même « maudite galère ».

Rage Against The Machine – Calm like a bomb

Ça a été impressionnant de voir des meubles qui bougent seuls et des constructions qui s’écroulent. Mais le plus troublant a été d’entendre la terre qui grogne. Depuis le séisme du 25 avril, ces 300 et quelques répliques ont toujours ce bruit indescriptible. En Haïti ils avaient appelé ça « goudougoudou ». Au Népal on trouvait que ça ressemblait à une explosion. Pas comme dans un film de Michael Mann. Quelque chose de plus sourd, plus enfoui. Comme une bombe douce et calme.

Radiohead – Paranoid Android

Les répliques qui se sont enchaînées sur les trois semaines après les 25 avril, nous ont exténués. Moins on avait des explications à ce qui était en train de se passer, plus on faisait des suppositions les plus improbables. La peur nous conduit à trouver des explications, quitte à créer des rumeurs. Les rumeurs provoquent la peur. Il n’y a pas mieux que Paranoid Android pour illustrer cet engrenage infernal. Au début de la chanson, Thom Yorke demande à on-sait-qui d’arrêter de faire du bruit, car il essaie de se reposer. C’était un peu ça ici : on essayait de se reposer, mais il y avait toujours ce bruit pour maintenir l’angoisse. J’avoue que je n’ai jamais compris le sens de Paranoid Android, mais là encore, quelques vers du dernier couplet illustrent bien l’expérience du séisme : les craquements, la poussière, la panique, les enfants de Dieu. Chaque séquence de ce titre (des journalistes anglais avaient vu en Paranoid Android « le Bohemian Rhapsody des temps modernes ») pourrait aussi bien représenter chaque étape de mon expérience du séisme jusqu’à aujourd’hui. La partie chorale pourrait représenter le moment de répit avant le 12 mai. Et quand Jonny Greenwood s’excite dans un solo fort en distorsion, serait le moment où l’on replongeait dans le chaos. Et puis Paranoid Android avait sa place dans cette compilation car, comme disait Stéphane Ibars à mon ami Jean-Baptiste Bourély, alors animateur de l’émission Mix de Chambre sur Radio Campus Avignon, « il faut toujours Radiohead dans une soirée ».

Marina Foïs – Alcool

Quand on a peur, quand on est exténué, quand on se sent impuissant, il est parfois agréable de se laisser aller à des plaisirs simples et faciles. À un moment avec ces secousses quasi-permanentes, on a l’impression d’être tout le temps ivre. Comme c’était ennuyeux d’avoir seulement l’impression, j’ai préféré être sûr de l’état dans lequel j’étais. Comme dit Natacha dans Filles perdues, cheveux gras : « Le monde me donne la gueule de bois et l’alcool arrange ça ».
P.S : attention, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Blondie – Heat of Glass

Après les secousses, il a fallu faire un peu de ménage. Je ne sais pas vous, mais j’aime bien écouter de la musique quand je range. Et dans ces moments-là, c’est la voix de Debbie Harry qui me motive le plus. « Ooouu ooouu haa haa ».

Coldplay – Everything’s not lost

Aujourd’hui, presque deux mois, après le 25 avril, on voit que les autorités ont encore du mal à gérer la crise. Mais il y a quand même des signes positifs. Quand je vois des jeunes motivés se bouger pour protéger leurs patrimoines en péril, quand je vois qu’il y a plusieurs petites initiatives pour essayer d’égayer la vie des sinistrés, je me dis que tout n’est pas perdu. C’est un peu comme Coldplay même. À entendre les purées sucrées qu’ils font depuis Viva la Vida or Death and All His Friends, je me prends pour la marionnette de Francis Cabrel aux Gignols : Coldplay « c’était mieux avant ». Puis je fais mon vieux réactionnaire et retourne à la base, Parachutes, pour retrouver un peu d’espoir pour ce groupe dont la vague a cassé encore plus rapidement que celle de Pearl Jam.


Un mois et puis s’en va

On ne sait pas si ce mois a été long. On a perdu la notion du temps. Il s’est passé beaucoup de choses à Katmandou depuis le 25 avril 2015. Tout s’est enchaîné. Tous ceux qui le pouvaient se sont activés, d’une manière ou d’une autre – parce qu’ils n’avaient pas le choix, par altruisme ou par obligation professionnelle.

Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H
Jamal, Katmandou : un tag pour se rappeler du séisme du 25 avril 2015 © S.H

À mesure qu’on s’éloigne du 25 avril, on aime penser que les choses s’arrangent. Mais samedi 23 mai, une tempête a fait des ravages dans Katmandou – une personne est morte, écrasée par un arbre. Pour enfoncer le clou, il y a eu un glissement de terrain dans le district de Myagdi où 25 maisons ont été détruites, mais heureusement pas de victime. Comme si la nature voulait fêter ce premier mois après le séisme.

On veut penser que les choses changent. Mais pendant un mois, le sol a continué de ronfler. Tous les jours, le centre de sismologie recense environ quatre secousses d’une magnitude supérieure à 4. Et ça va continuer. La dernière secousse enregistrée était ce lundi 25 mai à 11h, avec une magnitude de 4.1 et l’épicentre dans le Dolhaka.

Parfois on croit que la terre a bougé. C’est seulement une Royal Enfield qui passe, un téléphone sur la table qui vibre ou un mélomane qui bat la mesure The view from the afternoon avec son talon. Lors de ces tremblements mensongers, certains décollent rapidement, mais pas complètement de leur chaise. Dans leurs yeux grands ouverts – je déteste ce regard que je dois probablement avoir au même moment – on lit la peur et l’interrogation. Quand ils comprennent que c’est une fausse alerte, ils se rassoient en soupirant.

Quand ce sont de vraies secousses, on court à l’extérieur. Ça passe et on réactualise le site Internet du centre de sismologie toutes les minutes pour avoir la confirmation. On est alors partagé entre deux sentiments. Rassuré : « ouf, je n’hallucine pas ». Irrité : « mais putain, ça s’arrête quand ? »

On ne sait pas. Les sismologues ne peuvent pas le prédire. Le géologue britannique, Roger Bilham, disait que lui et ses copains de l’université du Colorado avaient émis des hypothèses sur le scénario du prochain séisme qui allait toucher le Népal après celui de 1934. En montrant des schémas de ses hypothèses et de ce qui s’est réellement passé le samedi 25 avril 2015, il a conclu avec un sourire : « on s’est planté ». Cette impuissance de la population mélangée à la peur et au besoin de savoir donne lieu aux rumeurs les plus insensées (peut-être le sujet d’un prochain billet).

Pr Roger Bilham lors d'une conférence à l'école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian
Pr Roger Bilham lors d’une conférence à l’école Rato Bangala le mercredi 20 mai © Himal Southasian

C’est une inquiétude quasi permanente. Le 25 avril et le 12 mai sont encore bien présents dans les conversations. On dédramatise en essayant d’en rire. Mais est-ce vraiment raisonnable ? Au lieu de rigoler, on ferait mieux de vénérer ceux qui se cassent en quatre pour aider les autres. Comme ils utilisent Facebook pour poster des romans et des photos relatant leurs performances, je peux les soutenir avec mes likes.

Le dessinateur népalais, Rabindra Manandhar illustre le spectacle de la distribution du matériel de secours après le séisme du 25 avril
Le dessinateur népalais, Rabindra Manandhar illustre le spectacle de la distribution du matériel de secours après le séisme du 25 avril

Après 30 jours, les annonceurs n’achètent plus de publicités dans les médias népalais. Quelques journaux et chaînes de télévision n’ont plus d’argent et sont obligés de remercier leurs journalistes.

Après un mois, les philanthropes de l’aide humanitaire sont toujours là avec leurs mignons gilets arborant le nom de leur organisation. Ils resteront encore au moins deux mois. Les sceptiques se demandent si ces aides sont vraiment efficaces sur le terrain et se posent des questions sur l’argent utilisé. On craint que le Népal revive ce qu’a vécu Haïti en 2010. En attendant, beaucoup de Népalais se serrent les coudes. Ils se débrouillent seuls parce qu’ils n’ont pas d’autres choix.

Pendant quatre semaines j’ai parlé à quelques-uns d’entre eux. Ils avaient certainement mieux à faire, mais ils ont pris le temps de me raconter leur histoire. Comme ce monsieur à Harisiddhi, debout sur les débris de sa maison où sa sœur est morte ensevelie. Après avoir répondu à mes questions, il s’est soucié de savoir si j’avais faim. Le Népal peut vraiment nous faire culpabiliser.

Quand on est dans la circulation chaotique sur Pulchowk, il est facile de penser que c’est le retour à la normale. Il suffit de voir, deux kilomètres plus loin, des bâches protégeant des sans-abris sur le rond-point de Maitighar Mandala pour réaliser que finalement, c’est encore la merde pour beaucoup.

Après un passage sur le Kathmandu Durbar Square défiguré, on se demande quand tout ça redeviendra vraiment « normal ». Mais on trouve toujours une petite lueur d’espoir en voyant que les petites scènes qui font le charme de cet endroit perdurent.

23 mai, Kathmandu Durbar Square : tout n'est pas perdu © O.B
23 mai, Kathmandu Durbar Square : tout n’est pas perdu © O.B

Un mois après le tremblement de terre, on est moins dans l’urgence. On a des journées avec des moments libres où l’on a l’occasion de prendre du recul. Ça fait bizarre. Mais il faudra endurer encore plus de moments où l’esprit naviguera en eaux troubles sans qu’on puisse tenir le gouvernail.